Hier soir, la première du Viol de Lucrèce a eu lieu à l’Opéra National du Capitole sous les applaudissements enthousiastes du public conquis. Cette pièce lyrique signée Benjamin Britten et rarement jouée reprend un épisode historique de la Rome antique (plus de cinq siècles avant notre ère) racontée d’un point de vue chrétien – tant pis pour les anachronismes. En moins de deux heures, ce spectacle nous fait voyager dans le temps.
Le Viol de Lucrèce, épisode de l’Histoire romaine
Le viol de la patricienne Lucrèce par le prince Sextus Tarquin est un épisode de l’histoire de Rome rapporté par Tite-Live, qui marque la fin de la royauté étrusque des Tarquins et l’instauration de la république romaine. Ce récit a inspiré de nombreux artistes, peintres, musiciens et poètes dont le dramaturge André Obey en 1936, qui a lui-même inspiré Benjamin Britten en 1946.
Le contexte de composition de cette œuvre par Britten n’est pas anodin et la metteure en scène Anne Delbée s’est inspirée de l’esthétique du milieu du vingtième siècle allemand pour la scénographie et les costumes de ce spectacle. Les anachronismes inhérents au livret sont totalement assumés par la mise en scène qui mélange les références à l’Antiquité, au Christianisme et au IIIe Reich. Leur dénominateur commun : la passion – tant destructrice des tyrans que salvatrice des résistants.
Des interprètes talentueux
Si la musique de Britten m’a un peu perdu (je ne suis pas habitué à entendre des opéras aussi modernes), j’ai été totalement conquis par les chanteurs. Agnieszka Rehlis (Lucrèce) et Duncan Rock (Tarquin) forment un duo particulièrement émouvant – l’une par sa pureté, l’autre par sa folie. Bien que toute l’action soit contenue dans le titre de l’œuvre et bien que l’on connaisse déjà l’épisode historique et son dénouement, on se surprend à prier pour que Tarquin entende les supplications de Lucrèce.
L’une des originalités de cet opéra, c’est que tout n’est pas joué sur scène. Une partie de l’action est prise en charge par un chœur qui raconte l’action au lieu de la montrer (comme par un effet de distanciation brechtienne). Ce rôle de narrateur-commentateur est repris par deux interprètes géniaux : le ténor Cyrille Dubois pour le chœur masculin et la soprano Marie-Laure Garnier pour le chœur féminin.
J’ai également été très agréablement surpris de voir dans la distribution la soprano Céline Laborie, que j’avais découverte dans un tout autre registre récemment puisqu’elle jouait l’une des deux castafiores des Cata Divas, un spectacle lyrique et comique que je vous avais recommandé. Dans le rôle de la servante Lucia, elle est aujourd’hui aux antipodes en terme de registre. Elle met sa voix de cristal au service de la tragédie, prouvant ainsi qu’elle est aussi douée pour nous émouvoir qu’elle l’est pour nous faire rire.
Vous pouvez encore profiter des prochaines représentations du Viol de Lucrèce si vous désirez également découvrir cette œuvre rare, puisqu’elle reste à l’affiche du Théâtre du Capitole jusqu’au 30 mai prochain.
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.