NDLR : J’ai volontairement glissé très peu de photos du spectacle dans cet article afin de ne pas spoiler les visuels. La plupart de ces images renvoient à d’autres spectacles ou à des croquis préparatoires.
Le grand événement musical de 2023, c’est Starmania bien sûr ! L’opéra rock légendaire de Michel Berger et Luc Plamondon n’avait pas été remonté depuis le Starmania Opéra en 2008, autant dire qu’on était impatient de retourner à Monopolis ! Pour ma part, je n’avais pas revu Starmania sur scène depuis l’an 2000, dans la version de Lewis Furey. Alors imaginez ma joie quand j’ai su que Zéro Janvier, Marie-Jeanne, Ziggy et tous les autres étaient de retour cette année dans une mise en scène de Thomas Jolly, un artiste que je suis depuis de nombreuses années (Toâ en 2009, Richard III en 2016, Thyeste en 2018… et bientôt les Jeux Olympiques de Paris 2024).
Depuis le début de la tournée en octobre 2022, les critiques du spectacle sont unanimes. D’ailleurs, le spectacle est nommé pour les prochains Molières dans deux catégories : Meilleure création visuelle et sonore & Meilleur spectacle musical. Les avis publics ne détonnent pas. Tous les gens que je connais et qui ont vu la nouvelle version m’avaient dit : « Tu vas te régaler ! »
Alors, Starmania 2023, vrai succès ou spectacle surcoté ?
Starmania 2023 : un retour aux sources
C’est toujours un plaisir de réentendre les tubes de Starmania (et ils sont nombreux) et un plaisir encore plus grand de redécouvrir des chansons moins connues qui étaient parfois passées un peu à la trappe dans les versions successives qui ont été présentées au cours des 40 dernières années. Mais avec ce Starmania 2023, nous ne sommes pas sur une reprise à l’identique du spectacle de 1979.
L’époque a changé, l’esthétique aussi. L’influence ultraviolente de Stanley Kubrick (Orange mécanique) est patente. Tout comme celle de Fritz Lang : de Monopolis à Metropolis, il n’y a qu’un pas. Tous les bulletins vidéos de Télé-Capitale portent le souvenir de ce cinéma expressionniste allemand. Des parallèles très intéressants qui tranchent avec l’esthétique un peu naïve des origines. On retrouve néanmoins dans cette nouvelle version de nombreux hommages à la mise en scène de Tom O’Horgan, notamment à travers le personnage de Cristal dont le costume et les attitudes raniment en nous le souvenir nostalgique de France Gall dont la présence fantômatique hante le nouveau spectacle.

Les paroles des chansons aussi ont été adaptées. Par exemple, les références à l’an 2000 qui préfiguraient l’avenir en 1979 ne sont plus désormais qu’un souvenir du passé : « Dans les villes de l’an 2000, la vie était bien plus facile […] On suivra gaiement le troupeau / Loin des villes de l’an 2000 » (Monopolis). La réécriture est plutôt habile, même si le passage de l’imparfait au futur d’un vers à l’autre écorche un peu les oreilles.
Les références racistes ont également sauté : Zéro Janvier ne revendique plus dans son programme électoral « la survivance de la race blanche » et Stella Spotlight n’est plus à ses yeux « Symbole de la race blanche » mais simple « Symbole de nos valeurs et de nos libertés » (Le Télégramme de Zéro à Stella).
Dans le même ordre d’idées, les zonards ne commettent plus des « attentats » mais des « coups d’éclat » (Communiqué de l’Évangéliste). Est-ce à cause de l’actualité des 20 dernières années ? L’évocation d’attentats pourrait crisper les spectateurs… surtout dans une salle de spectacle moins de dix ans après le Bataclan.
Sadia n’écrit plus non plus de « communiqué en allemand » pour revendiquer l’enlèvement de Cristal (Trio de la jalousie – Je suis avec Johnny Rockfort). Eh oui, on évite les amalgames désormais et surtout on ne stigmatise personne !
J’ai beaucoup aimé la réécriture du générique de Starmania chanté par Cristal. Des vedettes comme Rihanna ont intégré la liste des stars auxquelles le public voudrait ressembler. Effectivement, il était temps de renouveler les références auxquelles le public actuel souhaiterait s’identifier.
Musicalement, ce Starmania est un retour aux sources. On retrouve des personnages et des chansons qui avaient été laissés de côté pendant plusieurs décennies. Certains morceaux ne sont néanmoins pas renés de leurs cendres, comme le « Sex Shops Cinémas Pornos » chanté par Stella, remplacé par un tableau chorégraphique. Si le scénographe a reconstitué une atmosphère rouge et lascive, on est loin de l’érotisme transgressif revendiqué dans l’original. Mais les temps changent, on ne peut plus se permettre dans la décennie puritaine de 2023 les audaces des années 1970. Les nombreux clins d’œil à la comédie musicale originale font néanmoins extrêmement plaisir et sont autant de petites madeleines de Proust disséminées tout au long du spectacle. On en savoure chaque miette !
Une distribution parfaite
La distribution est vraiment chouette. J’ai eu un coup de cœur intersidéral pour Marie-Jeanne, interprétée par Alex Montembault qui a incarné le personnage avec une grande simplicité et interprété chacune de ses chansons avec une sobriété qui vous va droit au cœur. On pouvait sentir la dizaine de milliers de spectateurs réunis au Zénith transpercés par la même émotion lorsqu’il a chanté « Un garçon pas comme les autres », « La complainte de la serveuse automate », « Les uns contre les autres » et « Le monde est stone ». Je pense que de toutes les versions de Starmania que je connais, c’est la Marie-Jeanne que je préfère. Bien sûr j’ai beaucoup de tendresse pour Fabienne Thibeault, créatrice du rôle en 1979. Et Maurane est également une Marie-Jeanne qui nous a tous bouleversés dans les années 80. Mais Alex Montembault donne au personnage une dimension authentique encore jamais atteinte. Pas de fioritures ni de trémolos. Juste la mélancolie brute d’une serveuse en mal d’amour. Son interprétation acoustique guitare-voix d’ « Un garçon pas comme les autres » est bouleversante. Mais Marie-Jeanne nous avait prévenus : « De temps en temps j’gratte ma guitare / c’est tout c’que j’sais faire d’mes dix doigts ». Qu’est-ce qu’elle le fait bien ! Définitivement, Alex Montembault a tué le game. Bravo l’artiste !
Que serait Marie-Jeanne sans son amour impossible ? Je veux bien sûr parler de l’incroyable Ziggy. Dans ce Starmania 2023, c’est lui mon deuxième chouchou. Incarné par Adrien Fruit, il est parfait du début à la fin. Fils à maman qui veut devenir danseur de rock puis DJ à Naziland, son énergie est follement communicative. Dommage que Starmania soit un spectacle assis sinon je me serais trémoussé avec lui au rythme de l’ « Enfant de la pollution ». Adrien Fruit a emporté tous les suffrages dans le public, ses tableaux sont extraordinaires ! Il est à la hauteur du personnage légendaire qu’on lui a confié.
Le reste du casting ne démérite pas. Aurel Fabrègue (doublure de David Latulippe dans le rôle de Zéro Janvier) est un homme politique terrifiant, même quand il confesse qu’il « [aurait] voulu être un artiste », chanson qui vire au délire mégalo – mais sublime. Côme, qui interprète Johnny Rockfort, est un successeur très honorable de Daniel Balavoine. Très à l’aise dans les aigus, il n’est pas parvenu à remplacer dans mon cœur Bruno Pelletier (version Mogador 1994 de l’opéra rock) qui avait, me semble-t-il, beaucoup plus de souffle.

Côté féminin, Gabrielle Lapointe ne démérite pas dans le rôle de Cristal, tandis que Manet-Miriam Baghdassarian est un peu plus oubliable dans le rôle de Sadia (je me souvenais d’un personnage plus charismatique dans les versions antérieures). Stella Spotlight enfin est incarnée par Jeanne Jerosme (doublure de Maag) et bien qu’elle n’apparaisse qu’à l’acte II, elle parvient à s’imposer dès sa première chanson, « Les adieux d’un sex-symbol » où elle tient parfaitement la note finale, à faire pâlir d’envie la sulfureuse Diane Dufresne. Même si Patsy Gallant est pour moi la meilleure Stella ever, son héritière est vraiment à la hauteur du personnage. Son jeu est particulièrement juste et sensible dans la scène de son suicide.
Des chorégraphies consensuelles
Le travail de Sidi Larbi Cherkaoui est pour moi un petit bémol dans ce spectacle. Si les mouvements de groupes sont plutôt réussis, on est néanmoins tout au long des deux actes sur des chorégraphies assez consensuelles. Dire que j’avais découvert Sidi Larbi Cherkaoui en 2002, lorsqu’il avait présenté son spectacle Rien de rien au Théâtre Garonne. Cette pièce chorégraphique est toujours restée comme un repère dans mon parcours de spectateur. C’est là qu’est né mon amour pour la danse contemporaine (avec également ma découverte de Georges Appaix à la même période). En pleine période de Covid, j’ai aussi adoré sa collaboration avec l’Opéra National de Paris et Woodkid dans la pièce Exposure, en hommage à la photographe Nan Goldin. Alors que les salles de spectacle étaient fermées (rappelez-vous : elles n’étaient « pas essentielles »), Sidi Larbi Cherkaoui avait fait partie de ceux qui avaient continué à offrir au public des spectacles exigeants et créatifs.
Mais avec Starmania, allez savoir pourquoi, la sauce ne prend pas totalement. C’est un peu trop gentil. Un peu propret. Si le tableau de « Ce soir on danse à Naziland » nous en met plein les mirettes tout comme celui d’ « Un enfant de la pollution », le reste est à la fois moins inventif et plus convenu. La scène d’orgie du tableau « Paranoïa » est particulièrement ridicule… Imaginez une orgie au cours de laquelle tout le monde garderait ses sous-vêtements et pendant laquelle, au mieux, les corps ne feraient que se frôler… Pas très bandant tout ça. Je suis un peu triste pour ce Gourou Marabout qui a été ressuscité pour être finalement relégué dans un second rôle anecdotique, figurant dans une publicité pour DIM ou Tahiti Douche. Je suis intimement persuadé qu’on peut s’adresser à un public populaire tout en continuant d’explorer des formes de danse audacieuses et innovantes. Hair en 1968 avait bouleversé les codes. Dans les années 2020, ce type de performance ne passe plus devant un public populaire. Comme avec les paroles remaniées par les sensitive readers, il faut lisser chaque aspérité.
La lumière, personnage principal de Starmania ?
Si le théâtre de Thomas Jolly avait une signature, ce serait certainement son usage de la lumière. Dans Starmania, c’est Thomas Dechandon qui a eu la mission de créer cette architecture lumineuse qui domine toute la scénographie. Quelques éléments de décor traditionnels subsistent bien sûr, mais c’est clairement la lumière qui fait tout le boulot. Epileptiques, s’abstenir ! Ça flashe dans tous les sens, ça bouge, ça danse même ! Les faisceaux lumineux créent une atmosphère monochrome parfois glaçante et instaurent une ambiance futuriste qui fonctionne du tonnerre.

J’avoue que cet usage massif de la lumière est souvent ce qui me fait tiquer dans les spectacles de Thomas Jolly. J’ai l’impression que parfois elle permet de résoudre un peu trop facilement des difficultés de mise en scène. Et ces difficultés sont bien sûr très nombreuses dans Starmania où d’une chanson à l’autre on passe d’un café souterrain à un plateau de télé, puis de l’Autoroute aérienne 320-Nord au cent-vingt-et-unième étage de la Tour Dorée. Comment représenter la multiplicité des lieux de Monopolis et leur atmosphère ? C’est tout le travail du metteur en scène et du scénographe de trouver des solutions à ces problèmes. Celles pour lesquelles ils ont opté dans Starmania sont spectaculaires, quoique tape-à-l’œil. Mais au moins elles sont efficaces.
Alors, est-ce qu’on valide cette nouvelle version de Starmania ? Bien entendu ! Thomas Jolly a capté tout ce qui fait la force de cette histoire intemporelle et a su la faire rimer avec les préoccupations de notre époque. Si on peut regretter quelques petites facilités de mise en scène et son côté consensuel, on est obligé d’admettre que ce spectacle colle parfaitement avec ses ambitions de concilier le spectaculaire et le populaire.
Vous n’avez pas encore vu Starmania ? Rassurez-vous, sa tournée est loin d’être finie. Après un passage dans tous les Zénith de France, le spectacle reviendra à Toulouse au printemps 2024 avec encore plus de dates. Alors, serez-vous au rendez-vous ?
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
9 comments
Vu en juin 2023 au musikhall de Rennes Scandaleux, très mal assis sur des gradins de foot avec des sièges inconfortables au possible pour un spectacle de plusieurs heures une température de 35° sur les gradins. Aucune ventilation, pas d’extraction des fumées du spectacle, au point que même les fumées du spectacle précèdent étaient encore perceptibles à notre arrivée. Je ne parle pas des WC pour une quantité de spectateurs totalement inadapté. Des gradins nous ne voyons pas grand-chose. Transformer une salle du salon de l’agriculture en salle de spectacle il fallait oser…. C’est dommage nous n’avons pas profité du spectacle starmania comme nous aurions du pouvoir le faire et cela gâche grandement l’événement. Je ne parle pas de l’acoustique car faire d’un hall un soi-disant lieu de music ? Cherchez l’erreur
Je laisse la parole aux organisateurs mais également aux responsables de musikhall enfin du Hall plutôt car c’est vraiment une arnaque pure et simple. C’était la première fois que nous venions sur Rennes pour de la musique et bien ça sera la dernière. En tout cas sur cet endroit
Visité en juin
Le contact avec starmania production aucune réponses malgré mes demandes aucunes prises en compte , en plus d’êtres impolies c’est vraiment prendre les gens pour des Cons
Bonjour Hubert,
L’expérience telle que vous la décrivez a l’air d’une vraie catastrophe ! Quel dommage, le spectacle est si beau qu’il est regrettable que vous l’ayez vu dans des conditions aussi déplorables. J’espère que vous aurez l’occasion de revoir ce spectacle dans des conditions dignes de ce nom qui lui feront honneur !
Malheureusement après avoir contacter le spectacle en demandant des explications sur la manière de recevoir les spectateurs starmania production ma répondu au bout de 4 mois et après 3 relances. Par un mail de déni et de condescendance. C’est une véritable arnaque eg un scandale
Třès de déçue par ce spectacle, que de l’esbroufe! Une chorégraphie approximative, brouillon mal synchronisée. Des scènes dont on se passerait! Je ne suis pas venue pour voir quelqu’un se faire défoncer le crâne a coup de parpaings ( quand on arrive en ville) Les projecteurs violents dans les yeux du public, ça ne chante pas, ça g… à vous démonter les tympans. Des hologrammes loupés. Glamour les scènes en slips et soutien gorges noirs!!! Une seule grande réussite la petite qui interprète le chansons de Fabienne Thibaut ” la serveuse automate, ziggy” j’ai encore mal au crâne le lendemain! Je regrette de ne pas être partie a l’entracte!
Bonjour, en effet, c’est étonnant d’être restée jusqu’au bout malgré ce déluge d’impressions négatives. C’est presque masochiste de s’infliger le deuxième acte quand le premier a autant déçu ! Je vous tire mon chapeau pour votre patience. Lorsque j’ai ce type d’impression lors d’un spectacle, en général je déguerpis !
En effet, je n’ai pas déguerpi, car j’attendais un éventuel sursaut en seconde partie, mais ce fut pire encore! de toutes façons il était impossible de quitter le site avant la fin… les accès étaient barrés. J’ai vu plusieurs spectacles de Starmania, à des époques différentes, je n’ai jamais eu cette sensation de ratage tant au niveau de l’interprétation que de la chorégraphie!
Les textes visionnaires de Michel Berger m’ont retenue, tout au moins ceux qui étaient audibles dans cette surenchère de vacarme!
Vous l’avez-vu? visiblement non alors gardez vos appréciations inutiles pour vous…
Pourquoi supposez-vous que je ne l’ai pas vu ? Parce que je ne partage pas votre avis ?
Je suppose que vous ne l’avez pas vu tout simplement parce que vous n’avez émis aucun avis. Par conséquent j’ignore votre opinion. Je ne connais que votre jugement de valeur sur le fait que je sois restée avec le qualificatif de ” masochiste” alors que vous ne me connaîssrz ni d’Eve ni d’Adam. Je
debattrai volontiers avec quelqu”un qui ne soit pas hors sujet qu’il partage mon point de vue ou non!
Il y a pourtant beaucoup de mots dans l’article… Besoin d’une analyse de texte ? ou ne l’avez-vous simplement pas lu ?