Avec cinq spectacles vus ce mois-ci, mars a été particulièrement riche culturellement même si tous les avis ne sont pas au vert ! Des concerts, de l’humour et du théâtre traditionnel… De quoi rasséréner les appétits les plus féroces et contenter les goûts les plus éclectiques ! C’est parti pour le bilan culturel, tandis que je défais ma valise en me remémorant un si beau voyage à la Réunion. On n’a pas attendu pas le mois de mai pour faire ce qui nous plaît !
⊗ Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand : Antoine et Miriam, séparés, se confrontent au sujet de la garde de leur plus jeune fils, Julien. Tour à tour, l’enfant est trimballé entre sa mère – une femme dévastée que l’on devine également surprotectrice et castratrice – et son père – un homme au tempérament violent, bafoué dans ses droits et sans cesse provoqué jusqu’à être poussé à bout. Si cela est très efficace sur le plan de la forme, l’absence de discours moralisateur, de jugement, de conclusion, de prise de position m’a laissé un peu coi.
⊗ Call me by your name, de Luca Guadagnino : Tous les ingrédients sont réunis : la moiteur de l’été, les références culturelles et intellectuelles, les tiraillements du cœur, un certain parti-pris photographique, un chouïa d’indécence ou de provocation… Cette romance s’adresse principalement à un public adolescent, dans lequel les spectateurs retrouveront peut-être les émois et les problématiques qui les triturent. Peut-être même trouveront-ils ce film exigeant dans ses références. Pour un spectateur adulte, l’histoire paraîtra en revanche cousue de fil blanc, puisqu’il n’y a quasiment aucun doute sur les événements qui vont se dérouler d’une scène à l’autre. Pas de surprise non plus sur le plan esthétique, malgré des pics de maîtrise dans plusieurs séquences, affadis par la longueur des scènes qui finissent par provoquer un léger ennui.
⊗ Alex Vizorek est une œuvre d’art : L’humoriste belge, qui officie également sur France Inter et sur D8 aux côtés de Thierry Ardisson, dézingue gentiment l’art contemporain et ses travers dans des sketches thématiques articulés de la musique ou de la peinture. Dans cette version, nous n’avons eu droit qu’à une quarantaine de minutes dans le vif du sujet, précédées d’une longue intro sur les opinions politique (franchement, rien à carrer) et un long épilogue sur les brèves régionales (rigolo, certes, mais pour un Topito sur internet ça suffisait, pas besoin d’aller au théâtre pour voir ça). Vous l’aurez compris, j’ai donc été un peu déçu par la faible teneur en matière d’art. C’est essentiellement le sketch sur l’art contemporain et ses absurdités qui m’a amusé, avec ses monochromes, achromes ou happenings surréalistes. Finalement, les saillies de Vizorek sont presque superflues tant le concept de chaque œuvre suffit à démontrer sa propre absurdité, si bien que l’on ne sait plus si l’on rit grâce à l’humoriste ou grâce aux œuvres qu’il a sélectionnées.
⊗ Bérénice, de Jean Racine par Célie Pauthe : Acte 1 : ça se passe dans un salon sponsorisé par poltronesofa, sur une scène couverte de sable blanc mêlé de poussière de marbre. Et ça parle en alexandrins découpé à la hache. Bérénice fait son entrée en scène pompette. Le spectateur assis à ma gauche commence déjà à s’endormir. Acte 2 : Bérénice ne sait pas quoi faire de ses mains, alors elle agite un plaid, elle interpelle Titus avec des accents de poissonnière. Des gens rient. Mon voisin ronfle un peu. Acte 3 : Arsace (transgenre ? androgyne ?) fait le tour de la scène en courant avec un plaid rose… Le PSG vient de marquer un but ? J’ai un peu piqué du nez, j’avoue. Acte 4 : Bérénice crache sur la mémoire de l’Empereur Vespasien. Mais elle crache au sens propre… Rtt Pff ! Et puis elle a une jolie couronne, on dirait Turandot. Acte 5 : On veut se suicider, on se réconcilie, on fait bonne figure, on salue le public. Je retiendrai surtout les entractes, des extraits du film Césarée de Marguerite Duras, voix sublime et texte magnifique au son du violoncelle.
⊗ Cendrillon, de Joël Pommerat par Philippe Flahaut : J’adore cette pièce, adaptée du célèbre conte par Joël Pommerat, qui nous raconte avec subtilité et humour les étapes du deuil. Si l’écriture de la pièce n’est jamais caricaturale, la nouvelle mise en scène présentée ce mois-ci au Théâtre du Pavé l’est un peu plus que la version originale (plus hystérique, avec du travestissement, de la musique électrique…). Plus de simplicité dans la forme aurait pu suffire.
⊗ B’Rock Orchestra, dirigé par René Jacobs : Les Grands Interprètes ont présenté un programme autour de Schubert et Mozart, avec la soprano Robin Johannsen. Pour Schubert, la Symphonie n°1, en ré majeur, D. 82 et la Symphonie n°6, en ut majeur, D. 589. Pour Mozart, Arie “Ah se in ciel, benigne stelle”, KV 538 ; Rezitativ “Ah, lo previdi!”, Arie “Ah, t’invola” et Cavatine “Deh, non varcar”, KV 272 ; Rezitatik “Misera, dove son!” et Arie “Ah, non son io che parlo” KV 369 ; Arie der Ilia “se il padre perdei” de “Idomeneo” KV 366… Si tout cela vous parle, tant mieux ! Moi, très franchement, pas trop. Du coup j’ai profité de l’entracte pour m’éclipser, désolé pour les interprètes.
⊕ Le dernier voyage du compagnon Mozart, par l’Ensemble Pygmalion dirigé par Raphael Pichon : Cela faisait longtemps que je voulais entendre en live le Requiem de Mozart. L’Ensemble Pygmalion nous a invité à le suivre dans Le Dernier voyage du compagnon Mozart. Dans un crescendo magnifique les mouvements se sont enchaînés, les voix de joignant les unes aux autres, puis les instruments aux voix. C’était sublime. Bravo !
⊕ Cœur des Ténèbres, de Joseph Conrad : A la fin du dix-neuvième siècle, dans une colonie belge, un officier de la marine marchande britannique est chargé de retrouver un certain Kurtz, directeur d’un comptoir et collectionneur d’ivoire qui n’a plus donné signe de vie. En s’enfonçant dans la jungle, le jeune héros Charles Marlow va également découvrir le cœur des ténèbres. Il y a bien sûr le noir de la peau des hommes, mais il y a surtout celui de la nuit et celui de la brousse, et enfin celui du mystérieux Kurtz dont le portrait est toujours elliptique mais terrifiant. J’ai trouvé du Lovecraft dans cette nouvelle, quand il y avait du Flaubert dans Un avant-poste du progrès. J’ai hâte de découvrir un peu mieux les récits de Conrad qui m’a séduit par son style. Prochain titre : Le Nègre du Narcisse.
⊕ Lovecraft, contre le monde, contre la vie, de Michel Houellebecq : Lovecraft a longtemps été méprisé des universitaires (parce que c’est bien connu, la S.F. et le fantastique, ce n’est pas de la « vraie littérature »). L’essai de Houellebecq nous donne des clés d’analyse pour appréhender le style et l’univers de Lovecraft. Le dernier chapitre, plus axé autour de sa correspondance et de sa biographie, tente d’expliquer les origines de ses obsessions et de ses phobies paranoïaques. Je ne connaissais absolument rien de la vie Lovecraft à part ses œuvres littéraires, et cette analyse a donné un tout nouvel éclairage sur l’état d’esprit de cet écrivain. En quelques mots : un pur raciste, misanthrope et réactionnaire. Ce que nous fait comprendre Houellebecq, c’est que l’univers de Lovecraft est moins fictionnel qu’il n’y paraît : sa mythologie chtonienne ou extraterrestre n’est qu’une transposition de sa vision du monde réel et moderne, qu’il hait viscéralement. Tout se teinte alors d’antisémitisme, de xénophobie, de pensées nihilistes. On comprend soudain mieux pourquoi les textes de Lovecraft sont aussi puissants et angoissants. Il nous fait partager une vision du monde d’un noir absolu et fait resurgir des peurs primaires dont on sait, fondamentalement, qu’elles ne sont pas fictionnelles.
Au final, cela fait beaucoup de rouge et très peu de vert. Mais rien que pour l’Ensemble Pygmalion, ce mois de mars valait vraiment le coup ! Et vous, quels ont été vos plaisirs culturels du mois de mars ?
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Ca donne envie!