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Catarina et la beauté de tuer des fascistes, une pièce qui dérange et qui sidère au Théâtre de la Cité

by Julien
Catarina et la beaute de tuer des fascistes © Filipe Ferreira

Rarement j’ai été aussi sidéré face à une pièce de théâtre. Catarina et la beauté des fascistes de Tiago Rodrigues est actuellement au Théâtre de la Cité (Toulouse) et je ne me souviens pas avoir déjà été aussi perturbé par une pièce de théâtre. Deux jours après, je ne suis pas encore tout à fait remis des mes émotions qui me hantent depuis que j’ai quitté la salle. Un spectacle immense et gênant, aussi nécessaire qu’ulcérant !

Catarina et la beauté de tuer des fascistes, de la fiction à la réalité

Cette pièce nous introduit dans une famille qui tue des fascistes. C’est une tradition depuis plus de 70 ans. Quand l’histoire commence, c’est au tour de la jeune Catarina de tuer son premier fasciste. Mais au moment de passer à l’acte, le doute s’installe : la violence a-t-elle sa place dans cette lutte pour un monde meilleur ? Peut-on combattre les fascistes en utilisant les mêmes armes qu’eux ?

Voilà une pièce terrible, loin d’être manichéenne, qui interroge les fondements même de la démocratie. Quelle place et quelles limites y a-t-il à la liberté d’expression ? Peut-on lutter contre la violence sans en faire usage soi-même ? Y a-t-il encore des cadres et des garde-fous à nos démocraties ?

Catarina et la beaute de tuer des fascistes © Filipe Ferreira
Beatriz Maia, une Catarina dont les doutes perturbent nos convictions sur les luttes à mener contre le fascisme (Catarina et la beauté de tuer des fascistes) © Filipe Ferreira

Ce qui me bouleverse dans cette pièce, c’est que tout est fictif et en même temps tout est profondément réel. Les questions que se posent ces personnages de fiction sont exactement celles que nous devons nous poser quotidiennement face à la violence de nos quotidiens, nos politiques, nos médias. Alors que la plupart des pays d’Europe voit l’extrémisme progresser, le fascisme triompher parfois, et qu’en France même on déroule le tapis rouge dans tous les médias aux fascistes et qu’on donne une tribune à leur parole au nom de la sacro-sainte liberté d’expression, on peut se demander dans quelle mesure nos fragiles valeurs sont en train de leur céder du terrain et de préparer (volontairement ou pas) leur retour au pouvoir et leur victoire.

SARA. – Tu perçois de la beauté ? Quand tu tues. […] ISABEL. – Si par « beauté », tu entends venger la souffrance de celles qui ont vécu avant nous et de celles qui souffrent encore aujourd’hui, oui. Si par « beauté », tu entends le fait d’imiter l’exemple et le courage de celles qui se sont battues avant nous et qui continuent de se battre, oui. Si la justice, l’égalité et la liberté te semblent belles, alors oui. […] SARA. – Aujourd’hui, j’ai commencé à me dire que vengeance et justice ne sont peut-être pas la même chose.

Catarina et la beauté de tuer des fascistes, Tiago Rodrigues

Une pièce qui dérange

Tiago Rodrigues ne s’est jamais caché de vouloir écrire une pièce qui dérange, quelles que soient les convictions des personnes qui la lisent et la regardent. Il le revendique même dans la note d’intention du spectacle. Le spectacle provoque le malaise car il n’y a pas de morale qui soit donnée clé en main. Le dilemme qui déchire les personnages est le même que celui qui, petit à petit, anime et même enflamme la salle et le public. Les personnages sont tous complexes et chacun a d’excellents arguments. Pour l’instant, je ne trouve aucune solution aux dilemmes que pose cette pièce, et c’est bien pourquoi elle me travaille autant depuis que je l’ai vue.

ISABEL. – Droit à la parole ? C’est la première des erreurs. C’est comme ça que tout a commencé. « Toute personne a sa liberté d’opinion », c’est ça ? Sa petite opinion. Même si cette opinion est un mensonge. Même si elle va à l’encontre des droits humains, de la science, de la santé. Pendant des années nous avons permis que s’expriment toutes ces grossièretés. Et ces grossièretés sont devenues populaires. Elles ont commencé à obtenir des votes. Nous avons laissé les fascistes dire aux femmes députées noires de retourner dans leur pays. Et après, quand des femmes noires ont été tabassées par la police ou assassinées par des skinheads ? Tu vas me dire qu’il n’y a aucun rapport ? Nous avons laissé les fascistes dire que les vrais patriotes devaient descendre dans la rue et se battre au nom de la valeur sacrée de la vie contre les féministes qui défendaient le droit à l’avortement. Et puis nous avons vu des féministes menacées, persécutées, attaquées dans tous le pays. Coïncidence ?

Catarina et la beauté de tuer des fascistes, Tiago Rodrigues

Si le discours porté par la pièce est très fort, il est également soutenu par une mise en scène sublime. La musique d’Hania Rani et le chant choral de la scène 3 donnent une dimension vibrante au spectacle.

Les comédiens sont exceptionnels, j’ai particulièrement été marqué par Marco Mendonça, cousin de Catarina qui est à la fois narrateur et personnage ambigu de ce drame familial et politique. C’est celui que pour l’instant je n’ai toujours pas réussi à saisir et qui me perturbe le plus (si vous avez vu la pièce, j’aimerais bien savoir ce que vous en avez pensé).

Catarina et la beaute de tuer des fascistes © Filipe Ferreira
Romeu Costa et Rui M. Silva (Catarina et la beauté de tuer des fascistes) © Filipe Ferreira

Le plus époustouflant pour moi est Romeu Costa, qui incarne le fasciste Pedro Antunes. Je ne peux rien vous dire de sa performance car il faut le voir pour comprendre à quel point cet acteur est hors-norme. Le voir sur scène, c’est comme si un semi-remorque m’avait volontairement roulé dessus. En marche avant. Puis en marche arrière. Sidération mélangée d’ulcération. Les réactions dans la salle ont été pour moi du jamais vu.

La spectacle est joué une dernière fois ce soir à 18h30 (samedi 10 décembre 2022) au Théâtre de la Cité. Emparez-vous des dernières places si vous le pouvez. Si vous n’êtes pas à Toulouse, guettez le passage de cette pièce autour de chez vous et foncez, car bien que son propos soit profondément dérangeant, il est absolument nécessaire.

Photo de couverture : © Filipe Ferreira

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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.

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1 comment

Allychachoo 10 décembre 2022 - 13 h 11 min

Incroyable ta critique. J’aurais aimé voir cette pièce.

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