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Le Vaisseau fantôme de Wagner, actuellement à l’Opéra de Toulouse

by Julien
Le vaisseau fantôme de Richard Wagner mis en scène par Michel Fau à l'Opéra national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca

La première du Vaisseau fantôme (Der fliegende Holländer) de Richard Wagner a fait salle comble hier soir à l’Opéra national du Capitole. Mise en scène par Michel Fau, dirigée avec ferveur par Frank Beermann, cette production très attendue a su conjuguer force vocale et esthétique picturale, tout en s’inscrivant dans un contexte politique et culturel particulièrement tendu. Évidemment, nous y étions !

Le Vaisseau fantôme, premier grand ouvrage de Wagner

Quand Wagner est à l’affiche, on sait qu’il y aura du monde dans la salle. Le compositeur allemand est l’un des plus appréciés du monde lyrique et je dois avouer que je fais partie des afficionados. Ayant suivi les cours de Bernadette Fantin Epstein (grande spécialiste de la musique wagnérienne) il y a une vingtaine d’années lors de mes années universitaires, j’ai été fasciné par ce compositeur et ses opéras. Il était donc évident que j’irais voir par tous les moyens Le Vaisseau fantôme, son premier grand opéra créé en 1843 à Dresde.

Le vaisseau fantôme de Richard Wagner mis en scène par Michel Fau à l'Opéra national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca
Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner mis en scène par Michel Fau à l’Opéra national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca

Le fait que les décors de cette nouvelle production aient été conçus par Antoine Fontaine (qui a peint l’actuelle salle de l’Opéra du Capitole) et que la mise en scène soit signée Michel Fau (Ariane à Naxos, Elektra, Wozzeck…) a également titillé ma curiosité.


En résumé : le capitaine Daland échappe à une tempête en trouvant refuge dans une baie de la côte norvégienne. Un vaisseau fantôme surgit alors des flots et son capitaine, le Hollandais, descend à terre. Ce dernier est maudit depuis des siècles : pour avoir invoqué le Diable afin d’être sauvé d’une tempête, il a été condamné à errer sur les mers pour l’éternité. Tous les 7 ans, il peut accoster et espérer trouver la rédemption. Pour cela, il doit obtenir l’amour fidèle d’une femme qui l’aimera jusqu’à la mort. Le Hollandais offre alors tous ses trésors à Daland si celui-ci accepte de lui céder la main de sa fille, Senta, déjà fiancée au chasseur Erik.

Une distribution vocale puissante

Musicalement, la soirée a tenu ses promesses. La direction de Frank Beermann, énergique et nuancée, a porté les chanteurs sans jamais les étouffer. Le quatuor principal s’est imposé avec puissance et émotion. Le Hollandais (Aleksei Isaev), sombre et magnétique, trouve un contrepoint bouleversant dans la Senta passionnée et fébrile (Ingela Brimberg). Daland (Jean Teitgen), à la fois père et marchand, campe un personnage dense. Erik (Airam Hernández) apporte quant à lui une humanité douloureuse dans son désespoir amoureux.

Le vaisseau fantôme de Richard Wagner mis en scène par Michel Fau à l'Opéra national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca
Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner mis en scène par Michel Fau à l’Opéra national du Capitole de Toulouse (Aleksei Isaev & Ingela Brimberg) © Mirco Magliocca

L’ensemble vocal impressionne par sa tenue et sa capacité à transmettre la violence des sentiments wagnériens. Le Vaisseau fantôme fait en effet la part belle aux scènes de chœur, entre l’équipage de Daland, les fileuses qui tiennent compagnie à Senta et les marins maudits du Hollandais volant. Les passages choraux sont particulièrement puissants, notamment celui qui ouvre l’Acte III.

Une scénographie picturale et contrainte

Michel Fau, habitué de la maison toulousaine, propose ici une mise en scène qui évoque clairement l’univers de la marine romantique. Les tableaux scéniques, dominés par des camaïeux de bleus et de gris, rappellent les toiles de marine du XIXe siècle. Pourtant, le choix d’un cadre monumental occupant à partir de l’acte II toute l’ouverture de la scène, tel un tableau vivant, tend à comprimer l’espace de jeu. Si cette frontalité accentue l’aspect pictural, elle limite aussi la profondeur scénique et la mobilité dramatique. On reste ainsi plus spectateur d’un tableau que pris dans le tourment d’une tempête.

Le vaisseau fantôme de Richard Wagner mis en scène par Michel Fau à l'Opéra national du Capitole de Toulouse © Mirco Magliocca
Sous la coupe du Diable, les zombies quittent le vaisseau fantôme (mise en scène de Michel Fau à l’Opéra national du Capitole de Toulouse) © Mirco Magliocca

On sait Michel Fau friand de références esthétiques fortes et de directions d’acteurs ciselées. Dans Ariane à Naxos, présenté en 2019 au Capitole, sa folie baroque et son audace visuelle avaient fait mouche. Ici, l’ensemble reste plus sobre, plus retenu – sans doute à dessein – mais on peut regretter une certaine frilosité dans l’exploration du vertige wagnérien. Le tragique y est contenu plutôt que libéré.

Un opéra sous tension

Avant même que les premières notes ne résonnent, la soirée a été marquée par une prise de parole importante (qui rejoint le mouvement #deboutpourlaculture dont on vous parle régulièrement depuis plusieurs mois) : l’Opéra a alerté le public sur la situation critique que traverse le secteur culturel. La crise économique, les restrictions budgétaires, l’incertitude politique sur l’avenir de la création et de la diffusion artistique ont été évoquées avec gravité. Dans ce climat d’inquiétude, chaque représentation prend un relief particulier, comme un acte de résistance culturelle. Le fait que les représentations soient complètes témoigne d’un public toujours fidèle, conscient de l’importance de soutenir le spectacle vivant.

Une traversée réussie malgré les vents contraires

Ce Vaisseau fantôme, sans révolutionner l’œuvre, en offre une lecture soignée, à la fois musicale et plastique, portée par une distribution solide. Dans un contexte de fragilité pour les arts vivants, cette réussite collective prend une dimension supplémentaire : elle nous rappelle que l’opéra, art total par excellence, est aussi un lieu de résistance et d’émotion partagée. Une traversée à saluer, en espérant qu’elle ne soit pas la dernière avant la tempête.


Le Vaisseau fantôme est à voir à l’Opéra national du Capitole jusqu’au 27 mai 2025, à 20 heures en semaine et 15 heures les dimanches.

Qui a écrit cet article ?

culture déconfiture Julien

Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.

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