Après Beckett, Sophocle, Molière ou encore Racine, le metteur en scène Gwenaël Morin s’empare de Shakespeare et du Songe d’une nuit d’été dans sa toute dernière création, qui était visible cette semaine au Théâtre Garonne (Toulouse). Avec un fol appétit de théâtre, le metteur en scène revisite à sa manière cette comédie surnaturelle portée par quatre interprètes qui incarnent tous les rôles.
Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare : une comédie incontournable
Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare demeure l’une des œuvres les plus emblématiques du répertoire théâtral. Ce n’est pas un hasard si elle est régulièrement montée : je vous parlais déjà en 2022 de la mise en scène de Nicolas Dandine et en 2016 de celle de Laurent Pelly. Cette comédie, écrite à la fin du XVIe siècle transcende les époques par son ingéniosité, son humour et son exploration magistrale des thèmes de l’amour et de l’illusion. Cette pièce complexe et riche en rebondissements est souvent considérée comme l’un des chefs-d’œuvre de son auteur.
Le Songe d’une nuit d’été se déroule dans une Athènes fantastique où les frontières entre la réalité et le rêve s’effacent. Les amours contrariées, les intrigues surnaturelles impliquant des fées espiègles et les méprises comiques créent une atmosphère enchanteresse qui captive (et amuse) le public. La subtilité des dialogues, la poésie des monologues et la richesse des personnages font de cette comédie l’un des plus grands classiques du théâtre.
Pour en révéler toute l’épaisseur de cet univers onirique ou les fées côtoient les ducs et les amoureux, Gwenaël Morin a fait appel à une équipe réduite de quatre interprètes, complices de longue date, qui incarnent tous les rôles à la fois : les amants, les artisans, les princes et les elfes. Ainsi dépouillée de tous les artifices traditionnels du théâtre, ce spectacle fait de l’amour du jeu sa seule raison d’être. Enivrée de théâtre, la troupe transforme ce Songe en une comédie survoltée, libre et cruelle, sans cesse en mouvement.
J’ai monté beaucoup de tragédies ces dernières années et je voudrais renouer avec la légèreté de la comédie. Pour faire une comédie, il faut aller vite, tomber, accepter de devenir le jouet de son propre destin, y succomber joyeusement. J’aspire avec Le Songe d’une nuit d’été à retrouver une certaine innocence du théâtre, le plaisir modeste et fou d’être amoureux, de tomber amoureux encore une fois à l’infini. […] Dans Le Songe d’une nuit d’été, le désir est neuf, intact, non perverti.
Gwenaël Morin
Une farce délirante
Dans ce Songe, l’action se déploie dans un espace scénique épuré où l’imagination du public est sollicitée autant que celle des acteurs. Les costumes simples (parfois réduits aux seuls sous-vêtements des interprètes) et les décors minimalistes (le plateau est la plupart du temps nu) permettent de mettre en lumière la richesse des dialogues, offrant ainsi une expérience théâtrale immersive et intense.
La magie opère sans même que Gwenaël Morin n’abuse des jeux de lumière ni des changements de décors. On est en cela aux antipodes de la pièce telle que Laurent Pelly l’avait mise en scène, avec ses nombreuses machines, lumières et distribution foisonnante. La vision minimaliste de Morin se marie parfaitement avec l’esprit féérique de la pièce de Shakespeare, soulignant l’importance des relations humaines et des émotions à travers une mise en scène épurée et grisante.
Les premières images que j’avais vu de du Songe de Gwenaël Morin m’avaient fait un peu peur : je craignais de voir un spectacle un peu brouillon, à la limite de l’amateurisme potache. Finalement, j’ai été totalement emballé par cette mise en scène délirante, et j’ai même trouvé que la pièce trouvait une nouvelle vie sous la direction éclairée de Gwenaël Morin, permettant aux acteurs de briller pleinement. Morin prouve ainsi que la grandeur d’une pièce réside parfois dans la simplicité, et que l’essence du théâtre peut être capturée avec un minimum de moyens, laissant place à l’expression pure et à la puissance du texte et du jeu. C’est à ce jour la meilleure version que j’ai vue de la pièce !
Le Songe reste encore à l’affiche au Théâtre Garonne jusqu’à demain soir, et c’est selon moi l’un des must see de la saison 2024 à ne pas manquer !
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.