Octobre : on a remonté ses pendules, on s’est réjoui de la réouverture des théâtres, on s’est réconcilié avec le cinéma, on bouquiné à tire-larigo ! L’automne est bien là, mais il en faut plus pour nous mettre en peine. Allez, on passe en revue 9 objets culturels rencontrés ce mois-ci. Attention, y’a du lourd !
⊕ Capharnaüm, de Nadine Labaki : Un enfant porte plainte contre ses parents pour l’avoir mis au monde. Nadine Labaki nous confronte de plein fouet à la dureté de la vie pour une frange de la population invisible, celle des familles précaires, qui n’ont aucun droit, qui n’ont même pas de papiers, qui ne vivent que de petites combines et n’ont personne sur qui compter. Un film qui fera date, espérons-le, et qui aidera peut-être à faire bouger les choses pour que les enfants qui naissent au vingt-et-unième siècle cessent de vivre dans des conditions infâmes.
⊕ Le grand bain, de Gilles Lellouche : Une bande de mecs sur le déclin se réunit tous les jeudis à la piscine pour préparer un spectacle de natation synchronisée masculine. Une comédie touchante dont les personnages sont extrêmement attachants. Mention spéciale pour Jean-Hugues Anglade, en Bowie du pauvre à la relation tourmentée avec sa fille. Plus émouvant que drôle, mais ça n’est pas pour me déplaire.
⊕ First man, de Damien Chazelle : On ne le sait pas forcément, mais aux origines de la première mission sur la Lune, il y a un drame intime. Le film le présente surtout Neil Armstrong dans des scènes de famille ou de couple, ce qui permet de comprendre l’impact entre sa vie privée et sa mission. En ce qui concerne les scènes de pilotage, elles sont époustouflantes, on a réellement la sensation d’être dans le cockpit ou dans la capsule avec les astronautes. C’est absolument bluffant. J’ai rarement vu des scènes aussi immersives !
⊕ Tous des oiseaux, de Wajdi Mouawad : Wajdi Mouawad a ses marottes. Les secrets de famille. Les conflits au Moyen Orient. Un souffle épique dans la narration. Une fascination aussi pour le mythe d’Oedipe. Mouawad a l’art de la narration et connaît les ficelles pour tenir son public en haleine.
⊕ Compagnie, de Samuel Beckett, par Jacques Nichet : Qu’est-ce qui pourrait tenir compagnie à un homme sur le dos dans le noir ? A la deuxième personne, un homme se pose la question et égraine les hypothèses. Une autre voix (ou la même) interrompt ses divagations en énonçant des souvenirs, toujours à la deuxième personne. A qui s’adresse-t-elle ? Si la mise en scène de Jacques Nichet est un peu illustrative, elle a au moins l’avantage de rendre très compréhensible un texte qui, a première lecture, l’est assez peu. Thierry Bosc livre ici une impressionnante performance en maîtrisant un texte ultra répétitif et en nous captivant une heure durant sans bouger. On est très loin de ce que l’on pourrait présenter dans un théâtre grand-public, on est clairement dans une forme théâtrale très exigeante pour le spectateur. On aurait aussi bien pu pousser l’expérience encore plus loin en plongeant perpétuellement la scène dans le noir. On est d’ailleurs tenté à plusieurs reprises d’écouter simplement en fermant les yeux. Il y a vraiment des moments d’une grande beauté qui vont droit à vos tripes. Economie de moyen maximale pour un maximum d’efficacité.
⊕ Le roi se meurt, d’Eugène Ionesco, par Francis Azéma : Voici une pièce culte du vingtième siècle, moins absurde que ce que l’on lit parfois à son sujet… C’est vrai que l’on est toujours tenté de ranger les auteurs dans des cases : untel est romantique, un tel est absurde, etc. Un monde qui s’effondre au gré de la santé de son roi, cela peut sembler absurde. Et pourtant, à réentendre les dialogues du Roi se meurt, rien ne m’a paru moins absurde que ce qui se racontait-là. La mise en scène de Francis Azéma montre parfaitement la difficulté que l’on a d’admettre que l’on est mortel. D’accepter que c’est bientôt fini. Chaque scène nous rappelle le sel de la vie, que l’on oublie parfois un peu sous les tracas du quotidien.
⊕ Les idoles, de Christophe Honoré : Les idoles de Christophe Honoré, ce sont Jean-Luc Lagarce, Bernard-Marie Koltès, Hervé Guibert, Serge Daney, Cyril Collard et Jacques Demy. Leur point commun ? Tous terrassés par le SIDA. Christophe Honoré imagine la rencontre post-mortem des idoles de sa jeunesse, entre débat, rigolade et crèpes-party… Pendant 2h30, en quinze séquences, aucun temps mort. Danse, dialogues, monologues, chant alternent et rythment le spectacle, nous faisant passer du rire aux larmes. Aucun réalisme dans cette rencontre surréaliste, où les rôles masculins sont distribués même à des comédiennes (Marina Foïs en Hervé Guibert et Marlène Saldana en Jacques Demy). C’est cette même Marlène Saldana qui offre les meilleurs moments du spectacle, passant en une fraction de seconde du rôle de Jacques Demy à celui d’Elizabeth Taylor, à la fois si exubérante et si émouvante dans son activisme. Un récit édifiant, à couper le souffle ! Ma seule déception : aucun texte n’a été édité pour l’instant, donc impossible de se le procurer… Mais j’espère qu’on le trouvera prochainement en librairie, car j’adorerais m’y replonger et me remémorer ces superbes témoignages et cet excellent moment de théâtre.
⊕ Lais bretons, de Marie de France : Poétesse du douzième siècle, Marie de France a consacré de beaux textes en vers à des couples légendaires. Chevaliers, princesses, félons se croisent et s’affrontent, permettant à Marie de France de faire le tableau le plus complet des formes d’amour, en passant par la fidélité, la jalousie ou l’oubli. On y croise Tristan et Yseult et plein d’autres héros qui ont fondé la culture occidentale.
⊗ La mort à Venise, de Thomas Mann : L’auteur allemand Gustav Aschenbach va se désennuyer à Venise. Il y croise un adolescent polonais, le magnifique Tadzio. Alors que la passion augmente, la canicule empoisonne l’air et favorise la diffusion d’une épidémie. Un texte qui passe de la pédophilie au sublime, ce qui met un peu mal à l’aise vous en conviendrez… Je pensais faire une superbe découverte en lisant pour la première fois un récit de Thomas Mann ; j’ai été déçu.
Et vous, quels ont été vos coups de coeur culturels en octobre ?
2 comments
Les lais c’est génial. J’adore Bisclavret et Yonec.
Oui, ce sont deux beaux lais. Quant à moi, j’ai eu une affection particulière pour “Le laüstic” même s’il est très court, mais surtout “Eliduc”.