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H.P. Lovecraft, contre le monde, contre la vie – Un essai de Michel Houellebecq

by Julien
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Je dois beaucoup à Michel Houellebecq. C’est à cause de sa nouvelle Lanzarote que j’ai entrepris en 2014 un voyage aux Canaries qui fut une incroyable découverte. C’est également après avoir appris qu’il avait consacré une étude à H.P. Lovecraft que je me suis intéressé à ce romancier américain à partir de 2015. Ses récits et son style m’ont immédiatement fasciné et j’ai lu en quelques semaines plusieurs de ses nouvelles et de ses « grands textes » dans un ordre totalement aléatoire : Le cauchemar d’Innsmouth, La maison de la sorcière, Les montagnes hallucinées, Le mythe de Cthulhu (L’appel de Cthulhu, La couleur tombée du ciel, Celui qui chuchotait dans les ténèbres…) et  Dans l’abîme du temps.

En 1991, Houellebecq a donc consacré une étude littéraire et biographique à cet écrivain longtemps méprisé des universitaires (parce que c’est bien connu, la S.F. et le fantastique, ce n’est pas de la « vraie littérature »). Stephen King, le maître de l’horreur, a même donné de la plume pour préfacer le texte de Houellebecq. Peut-on envisager caution plus sérieuse ?

L’essai est bref et passionnant, et il donne des clés d’analyse suffisantes pour appréhender le style et l’univers de Lovecraft. Le dernier chapitre, plus axé autour de sa correspondance et de sa biographie, tente d’expliquer les origines de ses obsessions et de ses phobies paranoïaques. Je ne connaissais absolument rien de la vie Lovecraft à part ses œuvres littéraires, et cette analyse a donné un tout nouvel éclairage sur l’état d’esprit de cet écrivain. En quelques mots : un pur raciste, misanthrope et réactionnaire.

Dans les premières pages, Houellebecq rappelle les thèmes récurrents des textes de Lovecraft et tort définitivement le cou aux espérances humanistes, notamment en ce qui concerne la possible existence d’une vie extraterrestre et l’espoir d’un avenir optimiste pour l’humanité :

Pour imaginer la manière dont ils [les extraterrestres] nous traiteraient si nous venions à entrer en contact avec eux, mieux vaut se rappeler la manière dont nous traitons ces « intelligences inférieures » que sont les lapins et les grenouilles. Dans le meilleur des cas, elles nous servent de nourriture ; parfois aussi, souvent, nous les tuons par simple plaisir de tuer. Telle est, nous avertit Lovecraft, la véridique image de nos futurs rapports avec « les intelligences étrangères ». Peut-être certains beaux spécimens humains auront-ils l’honneur de finir sur une table à dissection ; et voilà tout.

Et rien de tout cela n’aura, une fois encore, le moindre sens.

Ce constat pessimiste et pourtant incontestable a alimenté tout l’univers des récits de Lovecraft. La monstruosité des créatures qui peuplent ses romans n’est qu’un reflet inquiétant de nous-mêmes. Cette terreur va infuser chaque personnage mais aussi chaque aspect du monde : les sons, les odeurs, les pensées et surtout les architectures vertigineuses (dédales infernaux inspirés de nos mégalopoles avec leurs gratte-ciels merveilleux et leurs bas-fonds crasseux où l’humanité se traîne péniblement).

Ce que nous fait comprendre Houellebecq, c’est que l’univers de Lovecraft est moins fictionnel qu’il n’y paraît. Sa mythologie chtonienne ou extraterrestre n’est qu’une transposition de sa vision du monde réel et moderne, qu’il hait viscéralement. Tout se teinte alors d’antisémitisme, de xénophobie, de pensées réactionnaires et nihilistes. On comprend soudain mieux pourquoi les textes de Lovecraft sont aussi puissants et angoissants. Il nous fait partager une vision du monde d’un noir absolu et fait resurgir des peurs primaires dont on sait, fondamentalement, qu’elles ne sont pas fictionnelles.

L’analyse que Houellebecq fait de l’œuvre de Lovecraft nous donne également des clés intéressantes pour comprendre ses propres romans : Les particules élémentaires, Plateforme ou La possibilité d’une île… dans lesquels Houellebecq introduit de nouveaux motifs totalement absents des textes de Lovecraft comme l’économie et la sexualité. Bref, on ne sait après la lecture de cet essai si l’on veut se replonger à corps perdu dans les romans de Lovecraft ou dans ceux de Houellebecq.

Il me reste un « grand texte » à découvrir : L’abomination de Dunwich ainsi qu’un certain nombre de nouvelles disséminées dans des anthologies. Je vais m’y atteler avec enthousiasme et acuité.

Et vous, que pensez-vous des œuvres de Lovecraft ? Laquelle vous paraît la plus intéressante ?

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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.

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