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Février 2016, le bilan culturel

by Julien

Février. Le mois le plus court de l’année. Mais surtout l’un des plus intenses culturellement parlant en ce qui me concerne. Entre “orgies culturelles” et héros littéraire qui s’envole en “hélicobite”, le mois a été très chaud ! Les expressions ne sont pas de moi, je ne fais que citer Christiane T., une ex-ministre qui murmure à la jeunesse, et Jean R., un comédien octogénaire qui commet avec les Boloss des Belles Lettres des résumés de romans classiques en langage djeuns ! C’est donc parti pour le bilan culturel le plus chaud de l’hiver !

 

Au cinema

 

Spotlight, de Tom McCarthy : Enième film « inspiré de faits réels » (petit slogan devenu systématique dans les bandes-annonces et qui me tape sur le système depuis quelques temps). La reconstitution de l’enquête menée par les journalistes du Boston Globe sur des affaires de pédophilie au sein de l’Eglise vous tient en haleine d’un bout à l’autre. Interprété avec excellence (mention spéciale pour Mark Ruffalo, nominé aux oscars 2016) et parfaitement écrit, ce film est un incontournable de la rentrée 2016 !

Mustang, de Deniz Gamze Ergüven : Cinq sœurs. Trois sœurs. Deux sœurs. Je ne sais pas pourquoi j’étais passé à côté de ce film franco-turc en 2015… Il rappelle vaguement Virgin Suicide de Coppola pour sa thématique et ses personnages, mais en beaucoup plus tonique et positif. Cinq sœurs élevées par leurs oncles et leur grand-mère voient leurs désirs de liberté et d’émancipation brimés. Mais elles ne manquent pas d’imagination pour contourner les interdits et le moindre écart de conduite devient une petite victoire. Si comme moi vous étiez passés à côté, n’hésitez pas à rattraper votre retard (d’autant que le film est nominé aux oscars 2016 dans la catégorie du meilleur film étranger).

Anomalisa, de Charlie Kaufman et Duke Johnson : Bien que je conchie les films d’animation, il y a heureusement quelques exceptions qui trouvent grâce à mes yeux. Parmi les pépites de l’animation, je compte bien sûr Valse avec Bachir, Persépolis ou des œuvres plus légères comme L’Etrange Noël de Mr Jack et Fantastic Mister Fox. Anomalisa fait également son entrée dans la catégorie des films d’animation d’exception. Avec Kaufman au scénario, on pouvait difficilement faire un mauvais métrage. Kaufman, c’est le scénariste des géniaux Dans la peau de John Malkovitch et Eternal Sunshine of the spotless mind. Anomalisa nous fait vivre la rencontre d’un auteur à succès (spécialiste du service au client dans les grandes entreprises) blasé de l’existence et d’une jeune femme introvertie croisée dans un hôtel de Cincinnati. De maladresses en surprises, une relation pleine de grâce et de tendresse se noue, s’effrite, redonne sens à la vie. Comme toujours chez Kaufman, le surréalisme n’est pas loin, quitte à nous perdre un petit peu et laisser la voie libre à plusieurs interprétations.

Les Nibelungen, de Fritz Lang avec Jean-François Zygel : Chefs-d’œuvre du cinéma muet, La mort de Siegfried et La vengeance de Kriemhild sont deux métrages reprenant les légendes allemandes aux influences celtiques qui avaient inspiré avant Fritz Lang le compositeur Wagner pour sa fameuse Tétralogie, et continuèrent d’inspirer au XXème siècle Tolkien lorsqu’il réécrivit le même mythe dans Le Seigneur des Anneaux. Les deux films de Lang sont épiques : héros invisible, Amazone revêche, dragon redoutable, guerre fratricide… Tous les éléments sont réunis pour deux films qui n’ont rien à envier aux superproductions contemporaines. Restaurées, colorisées et accompagnées au piano par Jean-François Zygel, les deux projections proposées ce mois-ci au TNT étaient exceptionnelles (dans tous les sens du terme) !

Ave César !, de Joel et Ethan Coen : Voilà du cinéma pour cinéphiles ! Plusieurs intrigues mêlées, une galerie des personnages vertigineuse… et pourtant tout finit par faire sens ! Ce film n’est pas très éloigné d’un exercice de style tant il y a de séquences de reconstitution allant du péplum au western, de la comédie musicale au film nautique… C’est drôle et intelligent, et excellemment servi !

 

Au theatre

 

Pour un oui ou pour un non, de Nathalie Sarraute, par Claire de Beaumont : un homme rend visite à son ami de longue date. Ils se sont brouillés, éloignés peut-être par quelque chose qui a distendu leur amitié de sorte que, si rien n’arrive, ils cesseront de se voir. La question que le visiteur se pose et pose à son ami c’est « pourquoi ? ». L’autre sait. C’est lui qui a pris de la distance mais il refuse de parler… Indéniablement, ce texte nous parle. Nous avons toutes et tous perdu un ami sans trop savoir pourquoi. La vie et le temps faisant leur œuvre, on s’éloigne et un jour, sans s’en rendre compte, cette personne est sortie du cercle de ceux que l’on appelle ami-e-s. Quand on fait ce constat, il est souvent trop tard pour y remédier. On accuse le temps ou la vie mais en y regardant de plus près il y a toujours une petite raison. Un truc, une phrase, un mot, une attitude qui, imperceptiblement, fendille la relation et qui, quelques temps plus tard, se traduit en fêlure. Pour un oui ou pour un non explore cet endroit si particulier, si intime. C’est merveilleusement écrit, triste, drôle et délicieusement joué.

Une heure, 23’ 14” et 7 centièmes, de Jacques Gamblin : Entre la danse, le théâtre et le clown, c’est une performance de chaque instant ! Bastien Lefèvre a la précision du geste quand Jacques Gamblin a celle des mots. L’articulation est contrôlée, pourtant le débit est haletant ! Ca va à 100 à l’heure mais on comprend tout. Extrêmement drôle et très poétique, c’est aussi d’une élégance à toute épreuve !

Antigone, de Berthold Brecht, par Grégory Bourut : Vous connaissiez l’Antigone de Sophocle et celle d’Anouilh. Brecht réécrit celle-ci en 1948 au sortir de la deuxième guerre mondiale et du nazisme. Grégory Bourut prolonge les liens entre l’Antique et l’époque contemporaine avec une mise en scène résolument moderne (cuir, métal, écrans, micros, écrans) et multiplie les parallèles avec les tyrannies du XXIème siècle et les formes de résistance de notre temps, avec une Antigone Femen et un Tirésias hermaphrodite. Si le spectacle et le jeu des acteurs tout en force ne plairont pas à tout le monde, ils ont au moins le mérite d’assumer leur parti pris formel et de l’exploiter jusqu’au bout. Personnellement, le manque de nuance m’a fait décrocher à plusieurs reprises.

Princesse vieille reine, de Pascal Quignard, par Marie Vialle : Pascal Quignard a écrit cinq contes spécialement pour Marie Vialle qui les a mis en voix et en scène. A la fois narratrice et personnage, elle nous parle de féminité, d’amour et de sexualité. Le texte est cru, sans détour, et pourtant jamais vulgaire et toujours rempli de poésie, de douceur, d’émotion. Le public est captivé par ces récits touchants et parfois drôles. Le rythme, la musique des mots sont sans pareils. La voix de Marie Vialle nous berce sans jamais nous endormir et devient cristal lorsqu’elle chante la neige. Chaque phrase se fait image, et chaque image fait sens. Pas de geste superflu non plus. Les paroles comme les mouvements (proches de la danse) paraissent une évidence. Dans une totale économie de moyens, l’actrice produit ses effets magiques qui nous font basculer dans ces autres mondes qui sont ceux des contes.

 

Lectures

 

Les liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos : Mon roman préféré ! Pas une seule année sans que j’y replonge mon nez ! Aucun résumé n’est à la hauteur, quelques adaptations valent le détour (celle de Stephen Frears surtout, et la pièce éponyme de Christopher Hampton). Comme l’année passée avec Madame Bovary, Jean Rochefort et les Boloss des Belles lettres nous ont proposé cette année leur résumé de ce rocambolesque roman épistolaire (à voir ici). Je ne m’attendais pas à ce que Valmont s’envole par la fenêtre en hélicobite ! Mais il faut avouer que c’est bien trouvé ! Et vous, de quel classique ne parvenez-vous pas à vous détourner ?

Figaro Divorce, de Odon Von Horvath : Ecrite dans les années 30, cette suite au Mariage de Figaro nous déconnecte du XVIIIème siècle pour transporter les personnages de Beaumarchais dans un XXème siècle post-révolutionnaire en proie à des doutes, des contradictions et la montée des systèmes de pensée identitaires et totalitaires. La comédie fonctionne à la perfection et renouvelle les thèmes de l’originale sans jamais les trahir. Une pièce à lire et certainement à voir ! Il paraît d’ailleurs qu’elle sera adaptée en opéra au printemps prochain par Elena Langer. On demande à voir !

Et vous, quelles ont été vos orgies culturelles ce mois-ci ?

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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.

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