La saison de théâtre se poursuit avec force et enthousiasme. Cette semaine, une pièce m’a particulièrement captivé au Théâtre de la Cité : Némésis, une œuvre saisissante qui explore l’épidémie dévastatrice de poliomyélite dans les années 1940. Dans cette création, la metteuse en scène Tiphaine Raffier s’est inspirée du roman éponyme de Philip Roth pour nous plonger dans l’année 1944, au cœur de la communauté juive de Newark.
Némésis, dans l’Amérique des années 40
Bucky Cantor, jeune professeur de gymnastique, se retrouve réformé en raison de sa myopie, incapable de combattre aux côtés de ses amis sur les côtes normandes. Resté à Newark, une mission lui est confiée : enseigner la détermination, la virilité et l’héroïsme aux jeunes garçons du New Jersey. Mais alors qu’il s’efforce de transmettre ces valeurs sur les terrains de sport, une terrible épidémie de poliomyélite frappe la communauté, semant la mort parmi les enfants.
C’est dans ce terrible contexte que commence la pièce, dans une atmosphère moite et lugubre. D’emblée, j’ai été captivé par Alexandre Gonin (qui incarne Cantor). Installé au premier rang, j’ai pu apprécier les moindres de ses expressions, la nervosité du personnage, les doutes qui le traversent… Même quand il ne dit rien, on sent que ça bouillonne au-dedans. Et quand le corps entre en mouvement, on sent toute l’énergie se déployer. Ça faisait longtemps qu’un interprète ne m’avait pas autant captivé au théâtre.
Les questions qui hantent
Qui est responsable de la propagation de cette maladie dévastatrice ? C’est le fil rouge de la pièce, qui dure presque 3 heures. Les réponses demeurent énigmatiques : Dieu, les moustiques, les Italiens, les bouteilles de lait, le vent, les hot dogs… Autant d’interrogations qui planent sur cette tragédie qui bouleverse les vies de Bucky Cantor et de sa communauté.
Pour échapper à la tragédie, Cantor part pour la Pennsylvanie où il devient maître-nageur dans un camp d’été pour adolescents. La mise en scène devient alors totalement folle : chants, chorégraphies, veillée d’Indiens, plongeons, balade en canoé, musique en live… La rupture de registre avec la première partie de la pièce est radicale. Et pourtant. On sent que la tragédie peut rattraper Cantor à tout moment (la pièce ne s’appelle-t-elle pas Némésis, après tout ?).
Dans cette partie, plusieurs comédiens se distinguent, particulièrement Tom Menanteau, étonnant dans sa capacité à changer de costume et de rôle en quelques pirouettes. Quelle énergie !
Pour donner vie à ce camp d’été, la compagnie La femme coupée en deux a fait appel aux choristes de la Lauzeta, chœur d’enfants de Toulouse. Dans leur costume de scouts, ils se sont parfaitement fondus dans l’univers de Némésis. J’adore quand un spectacle ose employer du monde sur scène, donne à voir la foule et mélange les générations. Ces jeunes-là ont joué leur partition à merveille !
Une adaptation captivante
Tiphaine Raffier s’est approprié le roman de Philip Roth avec une fantaisie dystopique propre à son théâtre. J’ai adoré le fait qu’un narrateur (longtemps en voix off) intervienne pendant la pièce, y compris pendant les dialogues entre les personnages. Quelle modernité ! Et les comédiens, portant l’histoire avec brio, offrent chacun des performances remarquables.
Comme je le disais plus haut, j’étais assis au premier rang pour voir ce spectacle. L’inconvénient, c’est que la scénographie nécessite un peu plus de recul pour être appréciée pleinement. Il y a des jeux avec la caméra et surtout des surtitres pour toutes les parties chantées (qui sont en anglais). Mais d’un autre côté, cette place de choix m’a permis de plonger dans l’intensité des émotions des comédiens. Les heures et les minutes se sont évaporées devant la puissance de l’histoire qui se déroulait sous mes yeux, si bien que j’en ai perdu la notion du temps.
Némésis s’impose ainsi comme une œuvre théâtrale incontournable de ce début d’année 2024. En explorant les méandres de l’épidémie de poliomyélite, elle nous confronte à la fragilité de l’existence et aux questions essentielles qui persistent dans les moments de crise. Ce spectacle restera pour moi une expérience théâtrale poignante et mémorable, marquée par la force de son propos et la qualité de sa mise en scène. Tiphaine Raffier est incontestablement une metteuse en scène que je vais suivre de très près dans les années à venir.
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.