La journée d’hier était – vous le savez peut-être – consacrée à la prévention et à l’élimination des violences faites aux femmes. Dans ce contexte-là, aller voir Don Giovanni à l’opéra titillait évidemment ma curiosité, car monter l’histoire de Don Juan en 2025, forcément, ça doit raconter quelque chose de notre époque. Dans cet opéra de Mozart, le librettiste Lorenzo da Ponte (dont on a adoré Les Noces de Figaro) s’est inspiré du personnage imaginé par Tirso di Molina au XVIIe siècle (El Burlador de Sevilla y Convivado di piedra) et immortalisé en France par Molière dans Le Festin de Pierre. Pour cette nouvelle mise en scène, le Capitole n’a pas lésiné sur les moyens en faisant appel aux plus grands noms : Agnès Jaoui pour la mise en scène et Éric Ruf pour les décors. Forcément, l’attente était élevée.
Don Giovanni : une production honnête mais qui semble venir d’un autre temps
Disons-le franchement : avec ses décors massifs, ses costumes datés, sa palette chromatique resserrée qui appauvrit l’espace scénique (marron, vert, anthracite, doré par touches), l’ensemble donne l’impression d’un spectacle figé dans le temps. Une approche très conventionnelle, pour ne pas dire consensuelle, qui rappelle davantage les productions de Nicolas Joel dans les années 1990 que l’audace que l’on pourrait espérer en 2025. Les décors qui imitent la brique sont beaux, certes, mais n’ont aucune autre fonction dans le spectacle. L’ensemble reste illustratif, presque académique.
Alors oui, le classicisme a ses charmes et ses afficionados, mais ici il vire rapidement au suranné. On peine à comprendre le point de vue de la metteuse en scène : quelle lecture du mythe de Don Juan ? Quelle interprétation du libertin dans le contexte contemporain ? Rien ne transparaît vraiment. Le spectacle déroule une iconographie bien sage, sans aspérité, sans véritable proposition dramaturgique. Désolé, mais pour moi, voir Zerlina chanter « Batti, batti, o bel Masetto » sans que la mise en scène n’apporte de point de vue sur la situation de cette femme – surtout un 25 novembre – ça m’interpelle un peu… Pour rappel, je vous donne la traduction de cet air :
Frappe, frappe, mon beau Masetto, ta pauvre Zerlina ; je resterai là comme une agnelle à attendre tes coups. Je me laisserai arracher les cheveux, je me laisserai crever les yeux, et heureuse, je saurai ensuite embrasser tes chères petites mains.

De manière générale, les rôles féminins sont totalement survolés. Quel dommage, surtout quand on mesure la qualité vocale et musicale de cette proposition, impressionnante et touchante par ailleurs.
Heureusement, la musique sauve la soirée
En somme, ce Don Giovanni coche les cases mais ne questionne rien. Là où tant d’artistes cherchent aujourd’hui à repenser le désir, le consentement ou la représentation du pouvoir masculin, cette mise en scène semble se détourner de toute actualisation possible — ou même de toute idée forte. Résultat : un spectacle qui fonctionne, mais sans cette étincelle qui pourrait donner à l’œuvre sa dimension subversive.
Heureusement, même si la mise en scène déçoit, la distribution, elle, relève brillamment le niveau. Les voix sont superbes, solides, engagées, et certaines incarnations font même oublier la scénographie un peu terne. Personnellement, j’ai vu la distribution n°1, mais les spectateurs qui ont assisté aux représentations avec la distribution n°2 m’en ont également dit le plus grand bien.
Mention spéciale également à la direction de l’orchestre, d’une précision et d’un dynamisme remarquables. Le maestro Riccardo Bisatti insuffle à Mozart la vitalité et la tension dramatique qui manquent cruellement au travail scénique. On se surprend alors à fermer les yeux pour savourer simplement la musique, tant elle est irréprochable. Quant aux chanteurs, Nicolas Courjal dans le rôle titre et Vincenzo Taormina qui joue son valet n’ont plus rien à prouver. On les avait adorés dans Mefistofele ou Le Barbier de Séville, et ils restent indiscutablement à la hauteur de leur réputation.
Bref, ce Don Giovanni est un excellent moment musical, c’est incontestable. Mais pour ce qui est du spectacle, de la lecture, de l’audace : on repassera. L’ombre d’une mise en scène trop prudente plane sur ce Don Giovanni qui aurait mérité sans doute davantage de feu et de parti pris.
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.





