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La DOUBLE inconstance au Théâtre de la Cité : Sexe, mensonge et vidéo

by Julien
La double inconstance marivaux galin Stoev

Depuis le début du mois de novembre, Marivaux est à l’affiche du Théâtre de la Cité (Toulouse). Après Le Triomphe de l’amour qui a cartonné au cours de la saison dernière, c’est au tour de La Double inconstance d’être mis en scène, pour mon plus grand bonheur car je pense que c’est l’une de mes pièces préférées du dramaturge. Pour ceux qui ont suivi les chroniques littéraires sur le blog, je vous avais déjà parlé de cette pièce lorsque je l’avais lue.

C’est Galin Stoev lui-même, directeur du Théâtre de la Cité, qui a mis en scène cette comédie grinçante. Ce n’est pas un coup d’essai pour lui, puisque j’étais allé voir en 2012 sa mise en scène du Jeu de l’Amour et du Hasard à la Comédie Française. Elle était alors nettement plus classique que celle proposée au aujourd’hui, placée sous le signe du cynisme. “Sexe, mensonge et vidéo“, c’est ainsi que Stoev a sous-titré sa version de la pièce, un sous-titre qui ne ment pas !

Pour rappel, La Double inconstance commence par un enlèvement. Le prince Lelio, amoureux de la belle Silvia, l’a faite enlever afin de la courtiser dans son palais. Mais Silvia est amoureuse depuis toujours d’Arlequin, un homme simple mais sincère. C’est alors que le prince fait appel à une alliée de talent, la redoutable Flaminia, qui connait parfaitement le coeur des femmes et saura détourner l’attention d’Arlequin pour laisser le champ libre au prince… Une intrigue qui sera résumée de manière lapidaire par Jean Anouilh : “L’histoire élégante et gracieuse d’un crime“, phrase qui explicite parfaitement le parti pris de Galin Stoev, qui propose une vision très sombre de l’univers de Marivaux.

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A quel jeu joue donc Flaminia (Mélodie Richard, au centre) ? Alliée ou manipulatrice d’Arlequin (Thibaut Prigent) et de Silvia (Maud Gripon) ?

Au centre de la scène, un grand bocal dans lequel Silvia est enfermée comme une souris de laboratoire. Autour d’elle, un grand local bétonné digne d’un bunker stalinien où des courtisans aux faux-airs de scientifiques regardent la pauvre jeune fille se débattre à travers des vitres sans tain, ou bien sur des écrans (car ses moindres faits et gestes sont scrutés par des dizaines de caméras de vidéo surveillance). En experte du sentiment amoureux et du coeur humain, Flaminia agit sur sa cobaye afin de lui faire oublier son amoureux Arlequin et d’éveiller en elle un sentiment nouveau pour le prince. Un grain de jalousie par-ci. Un peu de coquetterie par-là. Voilà comment on manipule méthodiquement les émotions et les volontés.

J’ai beaucoup aimé la radicalité du parti-pris de Galin Stoev. Même si je ne partage pas sa lecture de la pièce, je trouve qu’il va au bout de son choix et le défend intelligemment. De plus, malgré son cynisme, il parvient à conserver l’humour qui fait l’ADN des comédies de Marivaux. Mais pour ma part, je ne peux pas voir Marivaux autrement que comme un humaniste. Le Prince et Flaminia ne peuvent pas, d’après ma lecture, être des personnages aussi noirs et machiavéliques jusqu’au bout. Il me semble que chez Marivaux, même ces êtres sournois finissent par être touchés au coeur. Ce n’est absolument pas ainsi que l’entend Stoev : la fin du spectacle semble consacrer le triomphe de la perversion, où l’on célèbre plus la joie d’avoir détruit un couple (Arlequin et Silvia) que le bonheur de célébrer deux mariages.

En tous cas, cette mise en scène fera probablement date par sa radicalité et je suis content de l’avoir vue, jouée par des artistes vraiment talentueux. Si l’expérience vous tente, il reste encore trois représentations cette semaine au Théâtre de la Cité, mercredi, jeudi et vendredi soir à 19h30 !

Crédit photos : Marie Liebig

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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.

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