Vu hier soir à la Grainerie, Zusammen marque le retour — trop rare — du cirque équestre sur la place de l’Itinérance. Dans le cadre de l’événement « Place au chap’ », la compagnie alsacienne Équinote a installé ses chapiteaux blanc et jaune et propose, jusqu’au 31 décembre, une création sensible et collective. D’ailleurs, le mot allemand Zusammen signifie « ensemble » : tout est dans le titre !
Zusammen, l’envers du décor comme point de départ
Le public n’entre pas par la grande porte mais par les écuries. Une fois installés dans les gradins, on a le temps de voir les artistes s’activer pour peaufiner les derniers préparatifs. Sur la piste, pas de grand numéro inaugural : les restes d’un banquet, un petit matin brumeux, une troupe qui se met en route. Le spectacle commence là où d’ordinaire le cirque se cache : dans le quotidien, les préparatifs, le travail invisible. Entraînements, soins aux chevaux, réglages musicaux, doutes et reprises deviennent matière scénique. On ne regarde pas une performance : on entre dans une vie de troupe.
Dans cette compagnie, tout le monde touche à tout : chant, saxophone, acrobaties, équitation et figures équestres dignes du Cirque de Georges Seurat… On se demande comment ces circassiens peuvent être aussi doués dans tous les domaines. Sur des airs qui vont de Brassens à Baudelaire, les numéros s’enchaînent de manière joyeusement foutraque, et le public suit avec plaisir !
Humains et animaux, créateurs à égalité ?
Sept chevaux, deux chiens, six artistes : sur le papier, Zusammen tente de dissoudre la frontière entre l’humain et l’animal. A priori, l’animal n’est pas un accessoire mais un partenaire de jeu autant qu’un moteur dramaturgique. Une scène naît d’un moment de complicité avec les chiens, et la musique du souffle d’un cheval lancé au galop.
Pourtant, des extraits d’émissions de radio viennent par deux fois faire planer une ombre sur cet esprit positif, en soulevant des questions éthiques : le cirque équestre n’est-il pas une forme d’exploitation de l’animal au même titre que ceux qui dressent des fauves, exhibent des éléphants ou abattent des animaux de ferme ? Étonnamment, ce n’était pas une question qui m’avait pas particulière préoccupé en décidant d’aller voir ce spectacle, mais c’est le spectacle lui-même qui a insufflé ce soupçon par sa propre écriture… Ces interférences nous font tout à coup prendre un recul critique inattendu sur le divertissement auquel on pensait assister, et sur une forme d’exploitation dont on se sent soudain complice.
La poésie du collectif
Je n’étais pas retourné au cirque depuis longtemps. La dernière fois, c’était en 2024 à Siem Reap pour découvrir le merveilleux Phare Circus dont je vous avais parlé ici. Et il faut dire qu’à chaque fois, entrer sous un chapiteau me fait l’effet d’une retombée en enfance. Quand j’étais petit, c’était une sorte de tradition de Noël. Depuis, les barnums et les guirlandes lumineuses sont un peu des madeleines de Proust. Pas de doute que Zusammen aura le même effet pour les nouvelles générations d’enfants.
Mis en piste par Émilie Capliez, avec la dramaturgie de Juliette de Beauchamp, ce spectacle trouve un équilibre entre exigence circassienne et écriture théâtrale. Rien n’est décoratif. Tout parle de force collective, de confiance, d’attention à l’autre, humain ou animal. Le rapport au cheval notamment — et en dépit des interrogations éthiques dont nous avons déjà parlé plus haut — semble vouloir s’éloigner de toute domination spectaculaire.
Puis, au mitan du spectacle, le jour se transforme en nuit, et la piste bascule dans une atmosphère plus onirique. Quand « le grand soir » arrive enfin, la magie opère d’autant plus qu’on en a vu la fabrication. Le public est invité à la fête, mais une fête qui a du sens, nourrie de travail, de respect et de liberté partagée.
Zusammen n’est pas seulement un joli spectacle pour la fin de l’année : c’est une déclaration de confiance dans ce que humains et animaux peuvent créer quand ils font vraiment les choses ensemble. Pour passer d’agréables fêtes en famille, n’hésitez pas à aller à la Grainerie jusqu’à la fin du mois de décembre pour profiter de ce beau spectacle qui plaira à toutes les générations.
Photo de couverture © Hervé Kielwasser
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
