Ce week-end à Toulouse, nous avons eu droit à deux représentations exceptionnelles de la pièce (cultissime) Angels in America de Tony Kushner par le Deug Doen group au théâtre Sorano. La dernière fois que ce spectacle a été monté à Toulouse, c’était il y a dix ans dans une version hongroise au TNT… Et comme elle ne sera probablement pas rejouée de sitôt dans une version française, je me suis rué pour réserver mes places et je n’ai pas regretté !
Pourquoi la pièce est-elle si peu montée ? A cause de sa longueur, tout simplement. La version qui a été proposée cette semaine à Toulouse durait cinq heures (et encore, ils avaient coupé plusieurs scènes, sinon il aurait certainement fallu en compter une de plus). Premier indice de la réussite de ce spectacle : on n’a pas vu le temps passer ! La standing ovation qui a suivi la représentation d’Angels in America a confirmé la réussite de cette mise en scène hors-du-commun !
Pour ceux qui ne connaîtraient pas la pièce, elle a donné lieu en 2003 à une adaptation télé qui n’était pas passée inaperçue, puisqu’il s’agissait d’une mini-série en 6 épisodes au casting de laquelle on retrouvait notamment Al Pacino, Emma Thompson et Meryl Streep ! La pièce a également inspiré en 2004 un opéra éponyme avec la star des soprani Barbara Hendricks dans le rôle de l’Ange de l’Amérique ! Bref, les moyens ne manquent pas de la découvrir cette oeuvre si vous le souhaitez !
Harper, shootée au Valium, et son agent-de-voyage, Mister Mytho
En résumé : L’action se déroule à New-York en 1985. Tandis que le président Reagan chante les vertus de la mondialisation libérale, se croisent en coulisses les destins de Prior et Louis, couple homosexuel qui s’aime mais que le sida sépare ; de Joe et Harper, couple mormon à la dérive, asphyxié par la religion ; de Belize, infirmier émérite mais stigmatisé parce que Noir et drag-queen ; de Roy l’avocat véreux, mouillé dans un scandale financier et séropositif, prêt à tout pour garder sa place au sommet ; et de tous ceux qui gravitent autour d’eux. Prior reçoit bientôt la visite de l’Ange de l’Amérique, qui souhaite faire de lui le grand prophète du troisième millénaire et le sauveur d’un monde en perdition…
Mon avis : Ce que j’ai adoré dans le travail du Deug Doen group et d’Aurélie Van Den Daele, c’est l’efficacité de la mise en scène ! Enfin une pièce qui ne cherche pas à révolutionner le théâtre et n’utilise pas la scène comme un divan de psychothérapie ! Les comédiens et l’équipe artistique sont revenus à l’essence de leur art, cherchant à résoudre de manière intelligente les problèmes de représentation inhérents à la pièce. Les effets spéciaux, comme l’arrivée de l’Ange qui fait exploser l’appartement, l’Ascension de Prior au Paradis, ou encore le voyage onirique d’Harper en Antarctique, peuvent requérir des moyens théâtraux conséquents. J’avoue que je suis allé voir la pièce intrigué particulièrement par ces défis de mise en scène. En même temps, Kushner insiste sur le fait qu’il faut que la machinerie du théâtre soit visible par les spectateurs : il ne doit pas y avoir de noirs entre deux scènes et ce sont les acteurs eux-mêmes qui doivent effectuer les changements de décor. Il s’agit d’un effet de distanciation qui permet de réaffirmer l’illusion théâtrale et de garder en éveil l’esprit critique du spectateur. Pour le coup, Aurélie Van Den Daele et son équipe technique (son et lumières) ont su trouver le juste équilibre entre illusion réaliste et distanciation, rendant la représentation d’autant plus digeste que ruptures et continuité rythmaient le spectacle.
L’une des nombreuses autres particularités de la pièce est que chacun des huit acteurs doit incarner plusieurs personnages secondaires. J’ai particulièrement aimé l’interprétation de Julie Le Lagadec, incarnant alternativement un rabbin, un médecin, une mère mormone et le fantôme d’une juive allemande. Kushner encourage généralement les compagnies qui jouent ses œuvres à faire preuve de créativité concernant le choix des acteurs, et notamment concernant la répartition des rôles masculins et féminins. Entre actrices jouant des rôles masculins et personnages masculins travestis en drag-queen, la recommandation a bien été suivie et cela fonctionnait à merveille !
Enfin, la liberté prise dans le séquençage de la pièce en chapitres titrés d’après des chansons de David Bowie m’a évidemment ravi, d’autant que l’on entend à plusieurs reprises des airs du l’icône du glam-rock ! Mariage parfait entre cette pièce américaine et les tubes du regretté David Robert Jones !
En bref, je vous recommande d’aller découvrir ou redécouvrir cette œuvre majeure du théâtre contemporain, sur scène ou en revoyant les DVD de la série. Si vous voulez apprécier le travail sur Deug Doen group, ils rejoueront la pièce à Creil le 31 mars, puis à Montluçon les 7 et 8 avril ! Alors, on y va ?
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
