À Noukous, capitale du Karakalpakstan (Ouzbékistan), s’élève un musée qui semble à contre-courant de son environnement : au milieu des étendues arides, le Musée des arts de l’État du Karakalpakstan abrite l’une des plus grandes collections d’art moderne d’Asie centrale. Créé dans les années 1960 par l’artiste et ethnographe Igor Savitsky, il est souvent surnommé « le Louvre des steppes », tant son existence paraît improbable et précieuse.
Noukous : la sauvegarde d’un art interdit
Lors de mon séjour en Ouzbékistan pendant l’été 2025, j’ai très peu visité de Musées d’art. Il y a beaucoup de lieux dédiés aux cultures locales et aux formes artisanales, mais il existe très peu de Musées comme on en voit dans les grandes villes des pays occidentaux. Ma surprise a donc été d’autant plus grande lorsque j’ai découvert le musée de Noukous et son impressionnante collection, en plein cœur du désert ouzbek.
Le cœur du musée réside dans une collection unique d’artistes d’avant-garde russes et soviétiques des années 1920-1930. À une époque où le réalisme socialiste était la seule expression tolérée, Savitsky sauva des milliers d’œuvres vouées à la destruction ou à l’oubli. Il les rassembla à Noukous, loin du contrôle des grandes villes, protégeant ainsi des toiles audacieuses, abstraites, cubistes ou futuristes. Et c’est aujourd’hui encore l’un des musées les plus importants d’Asie Mineure.
Ces peintures, sculptures et dessins témoignent d’une créativité étouffée par la censure, mais sauvée in extremis par la passion d’un homme.
Entre modernité et héritages locaux
Au-delà de cette avant-garde, le musée expose également des œuvres traditionnelles karakalpakes : bijoux, textiles, objets rituels… Ce dialogue entre modernité révolutionnaire et patrimoine ethnographique inscrit le lieu dans une double mission : sauvegarder la mémoire d’un peuple et préserver un pan de l’histoire universelle de l’art.
On passe ainsi d’une salle vibrante de couleurs et de formes expérimentales à une autre, emplie de l’artisanat raffiné de la steppe, tissant un pont entre identités locales et avant-gardes cosmopolites.
Une émotion rare dans un lieu improbable
Ce qui subjugue à Noukous, c’est autant la force des collections que le paradoxe de leur localisation. Au cœur d’une ville retirée, loin des capitales culturelles, le visiteur découvre un trésor préservé grâce à l’obstination d’un seul homme et à l’isolement même du désert.
On quitte le musée avec une émotion particulière : celle d’avoir touché un fragment d’histoire sauvé de l’oubli, suspendu entre répression et survie, dans un lieu qui ne devait pas exister et qui pourtant brille comme une oasis culturelle.


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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.









