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Une soirée en Avignon : Thyeste [CRITIQUE]

by Julien
thyeste avignon

En 70 ans, le Festival d’Avignon est devenu le rendez-vous incontournable de l’été pour tous les théâtreux de France et de Navarre. Cette année, c’est Thomas Jolly qui a eu le privilège d’ouvrir le bal dans la cour d’Honneur du Palais des Papes avec son adaptation de Thyeste de Sénèque.

Rarement jouée, cette tragédie antique  narre pourtant un épisode fondateur de la malédiction des Atrides, la famille ayant inspiré le plus grand nombre de tragédies à travers les siècles (de l’Orestie d’Eschyle, en passant par les Iphigénie et les Electre en tous genres, jusqu’aux Mouches de Jean-Paul Sartre). Thomas Jolly, après avoir mis en scène plusieurs tragédies de Shakespeare, s’attaque désormais aux monstres qui ont inspiré le dramaturge anglais.

Dans cette mise en scène de Thyeste, alors que le masque géant de la tragédie est renversé sur la scène et contemple le public, le plateau est percé en son centre par une large grille d’où l’on entend sourdre des gémissements. C’est la bouche des Enfers où se lamente le vieux Tantale, condamné au supplice éternel de la faim et de la soif pour avoir tué et son fils Pélops et l’avoir fait dévorer par les dieux. Rappelé sur Terre par une Furie, le voici qu’il contamine le palais de son descendant : le roi Atrée (Thomas Jolly himself). Ce dernier se prend soudain à rêver d’une terrible vengeance contre son frère Thyeste qui avait voulu, par le passé, usurper son trône. Meurtre et cannibalisme sont au programme de ces terribles retrouvailles.

 

Atrée (Thomas Jolly) préméditant son crime – Thyeste / Sénèque

 

On ne peine pas à comprendre ce qui a plu à Thomas Jolly dans cette tragédie. A l’instar de Richard III (que le metteur en scène avait déjà incarné en 2016), Atrée nous est présenté comme un tyran malingre, un être sournois à la voix criarde. Thomas Jolly nous refait le même numéro et incarne ce nouveau personnage à l’identique, c’est-à-dire de façon outrancière en passant par une succession de poses rappelant le cinéma expressionniste. Un jeu excessif, certes, mais efficace pour signifier la folie et la monstruosité du personnage.

Comme dans toute tragédie antique, le spectacle alterne des épisodes joués avec des entractes chantés par des chœurs (censés représenter la voix du peuple, conseillant ou jugeant son souverain). C’est Emeline Frémont qui a la mission de slamer la parole des citoyens, dans des passages musicaux captivants, qui ne sont pas sans rappeler les performances de Bertrand Cantat dans l’intégrale de Sophocle (Le dernier jour de sa vie de Wajdi Mouawad) qui a probablement inspiré Thomas Jolly. C’est sans aucun doute à Emeline Frémont que l’on doit les plus beaux passages de ce spectacle, droite derrière son micro, preuve qu’il n’y a pas besoin de faire des guignolades et des grimaces pour inspirer la terreur et la pitié au public, et donner à la tragédie toute sa splendeur.

 

Emeline Frémont slamant les chants du choeur – Thyeste / Sénèque / Thomas Jolly

 

Dans l’ensemble, Thomas Jolly a séduit le public avec ce nouveau spectacle, même si l’on aimerait désormais le voir se renouveler et s’essayer à des projets moins tape-à-l’œil.

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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.

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