Première incursion dans la littérature hongroise, et me voilà plongé dans le roman culte Épépé, écrit par Ferenc Karinthy en 1970. C’est peu dire que j’ai été dépaysé. Ce récit étrange, étouffant et fascinant m’a laissé l’impression d’un voyage sans carte, où le sens se dérobe autant que les repères géographiques…
Épépé : un cauchemar linguistique
Le héros, Budaï, est un linguiste de renommée internationale. Il part pour Helsinki afin d’assister à un congrès, mais, à la suite d’un improbable malentendu (ou d’un mauvais rêve ?), il se réveille dans une ville inconnue, grouillante, labyrinthique, où personne ne parle une langue qu’il comprenne. Malgré ses compétences en linguistique — il maîtrise deux douzaines de langues — il se heurte à un idiome totalement hermétique. Pris au piège, incapable de communiquer, de demander son chemin ou même de comprendre les règles de cette société étrange, il tente tant bien que mal de s’adapter.
Et nous voilà avec lui embarqués dans une aventure aussi absurde que déroutante… Mais que signifient tous ces patyagyagyabbou, vévé, térépléboeboe et autres dédéd qu’articulent péniblement les personnages croisés ? Dans ce brouillard linguistique, la seule lueur d’espoir semble reposer sur une charmante liftière, mais encore faudrait-il que Budaï réussisse enfin à comprendre si elle s’appelle Épépé, Bébé, Védédé, Tchététché, Vévé, Dévébé, Édiédié, Tété ou Bébébé…
Tout en manipulant l’ascenseur elle lui envoie des sourires, mais non sans quelques mystérieuses réserves. Il est de nouveau pris de doutes : faut-il interpréter l’attitude de Vévé comme la complicité d’une initiée, ou n’est-ce rien d’autre que la traditionnelle gentillesse féminine ?
Épépé, Ferenc Karinthy traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy (éd. Zulma, coll. de poche, p. 169)
Une atmosphère kafkaïenne
Comparer ce roman à Kafka est presque un cliché, tant l’analogie s’impose d’elle-même. L’angoisse de Budaï, son impuissance face à un monde absurde, son errance sans fin dans une ville qui l’engloutit… tout évoque les univers de l’auteur tchèque. Mais Épépé a sa propre singularité, son étrangeté tenace. Le récit, répétitif et oppressant, avance à la fois en spirale et en stagnation.
À l’instar de Budaï, on espère une sortie, une explication, une lueur… Le roman devient alors l’expérience même de la perte de sens.
Une lecture marquante… mais difficile
Je ne sais pas si je me plongerai à nouveau de sitôt dans un roman hongrois. Si Épépé est représentatif de cette littérature, il me faudra sans doute un moment pour digérer ce récit déroutant, captivant mais exigeant. Il reste néanmoins une expérience de lecture mémorable, comme une énigme sans solution.
Et vous ? Avez-vous déjà exploré la littérature hongroise ? Lu Épépé ? Quels autres titres me conseilleriez-vous ?
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.