Le recueil d’Aurore Matuchet, Comme l’amour l’herbe manquait par endroits, se présente comme une succession de poèmes courts, « une traversée du corps et des lieux » découpée en quatre parties : Fugue, Sous la peau, Vies et décors, Visage. Chacune fonctionne comme une variation autour d’un même motif — la présence au monde, l’attention portée aux détails, le tremblement discret du désir. Jamais spectaculaire, tout est regardé attentivement, patiemment, avec la pudeur de celle qui sait que l’émotion la plus juste ne se force pas.
Comme l’amour l’herbe manquait par endroits : l’instant comme territoire
Ces poèmes courts, souvent ramassés en quelques lignes, captent l’infime : un souffle, une ombre, un geste. On y lit la côte basque, le vent, les corps, le passage des jours. Aurore Matuchet écrit comme on photographie, mais à la lumière des sensations plutôt qu’à celle du soleil. Chaque texte semble fixer un léger déplacement du monde — une nuance, une trace. Certains poèmes frôlent le haïku, par leur brièveté et leur intensité contenue.
Une écriture de la suggestion
Ce qui frappe ici, c’est la justesse du regard. Aurore Matuchet ne décrit pas, elle effleure. Elle ne raconte pas, elle laisse deviner. Les images, parfois à la limite de l’abstraction, évoquent la poésie d’Éluard, dans cette manière d’associer le concret et l’émotion pure. Les textes communiquent entre eux, sans jamais s’enchaîner : le livre se feuillette comme un album photo dont on comprend les liens par intuition, non par narration.
Comme l’amour l’herbe manquait par endroits est notre quatrième livre. À une époque dématérialisée, l’amour et le corps doivent se faire une place pour résister à un effacement programmé. La délicatesse des poèmes d’Aurore vient donner voix à cette fragilité et matière aux sentiments grâce aux couleurs et parfums d’un hiver océanique. Écrire la fiction, c’est écrire le monde.
La 21ème Saison
La beauté du souffle
Comme toujours avec les éditions de La 21ème Saison, la mise en page sert admirablement le texte. Les blancs, les respirations, la typographie sobre permettent à chaque poème d’exister pleinement, de laisser un espace à la lecture. Cette simplicité graphique épouse parfaitement la poésie d’Aurore Matuchet : essentielle, dépouillée, lumineuse.
En parcourant le texte, j’ai été frappé par la manière dont le langage contemporain s’y glisse avec légèreté. Certains mots m’ont amusé : playlist, Ray-Ban, ou ces quelques vers qui font rimer spritz à Biarritz…
On referme le livre avec la sensation d’avoir traversé un paysage intérieur, où chaque mot laisse une empreinte légère, comme un pas sur l’herbe après la pluie. Dans ces poèmes où rien ne crie et tout palpite, Aurore Matuchet rappelle que le désir est aussi une manière de regarder le monde, de le dire sans le saisir & d’en révéler la douceur silencieuse.
Qui a écrit cet article ?
Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.






