Hier soir a eu lieu au Théâtre du Pavé la première de La Misanthrope. Oui, vous avez bien lu et il n’y a pas de coquille dans le texte : c’est bien une misanthrope qui était à l’honneur et non un homme. Un pari osé de la part de Francis Azéma et de sa compagnie qui se sont emparés du texte de Molière et ont tenté l’inversion des genres. Et si Alceste était une femme ? Et si Célimène était un homme ?
Le casting de La Misanthrope
Vous avez compris le principe : dans cette version de la pièce, tous les genres sont inversés. On ne s’étonnera donc pas de voir Corinne Mariotto dans le rôle d’Alceste, la fameuse « atrabilaire amoureuse », Olivier Jeannelle dans le rôle du coquet Célimène, Muriel Benazeraf en flegmatique Philinte, Francis Azéma himself dans le rôle du prude Arsinoé et Nathalie Vidal dans celui de l’orgueilleuse Oronte (et accessoirement celui de la servante Du Bois).
Est-ce que les transformations de genre fonctionnent ? Eh bien oui. Bien que le théâtre classique soit réputé pour être un théâtre essentiellement masculin, on se rend compte grâce à cet exercice que les femmes peuvent aussi bien s’emparer des grands rôles des comédies. C’est valable en tous cas, pour La Misanthrope. Je ne suis pas sûr que l’opération fonctionnerait à tous les coups… Une George Dandin, une Don Juan, une Tartuffe ? Le glissement paraîtrait plus délicat (mais après tout, pourquoi ne pas tenter l’expérience ?).
Un texte adapté et transformé
La plupart du temps, la féminisation du texte (et sa masculinisation lorsqu’il s’agit de Célimène et Arsinoé) fonctionne plutôt bien. Si je ne connaissais pas le texte par cœur, je pense que je ne me serais parfois pas rendu compte des modifications opérées.
J’ai regretté en revanche la disparition de plusieurs personnages secondaires qui, selon moi, donnent davantage de sel à la pièce et auraient mérité d’exister même dans cette version. Éliante passe à la trappe et avec elle l’ultime réplique de l’acte V qui donne un peu d’espoir au dénouement de cette comédie, qui sans elle verse dans la tragédie. Exit également Clitandre et Acaste, les deux marquis qui courtisent Célimène et sont les rivaux d’Alceste. J’aurais bien aimé voir encore plus de femmes sur scène bourdonner autour de ce Célimène-mâle.
Pourquoi Francis Azéma les a-t-il sacrifiés dans son adaptation ? Simplifier l’intrigue ? Réduire le nombre de comédiennes ? Ou bien des difficultés (voire des impossibilités) dans l’adaptation des répliques ?
En tous cas, cette vision de la pièce tranche totalement avec la vision qu’Antoine Vitez avait du personnel féminin dans le théâtre de Molière :
Les femmes dans les comédies de Molière ne sont pas peintes en elles-mêmes ni pour elles-mêmes, mais pour lui, l’homme, le mari, l’amant, le père, pour son regard et son usage à lui.
Antoine Vitez, Écrits sur le théâtre, 3. La scène (1996)
Le pari de cette mise en scène permet au moins de démontrer que dans certaines comédies, Molière ne peint par des personnages pour leur genre mais pour ce qu’ils représentent de l’humanité au-delà des différences de sexes. Chacun et chacune peuvent se reconnaître dans Alceste (que ce soit un homme ou une femme) et dans Célimène.
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Cette pièce est la première que je vois en 2022 et elle inaugure une année placée sous le signe de Molière, dont on fêtait le 15 janvier dernier les 400 ans de la naissance. C’est aussi le troisième Molière vu dans la saison après Le Tartuffe au Théâtre de la Cité et George Dandin programmé par Odyssud. Pourvu que la fête continue : on espère voir encore de nombreuses mises en scènes originales de ses comédies !
La Misanthrope est à voir au Théâtre du Pavé jusqu’au 5 février 2022. Pour réserver, c’est par ici ! Et vous, quel Molière avez-vous prévu d’aller voir en 2022 ?
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Faire la sieste sous les tropiques, parler littérature, théâtre et cinéma, écouter le craquement du glaçon plongé dans l'eau, frissonner avec Lovecraft, planifier des voyages en Italie... J'adore l'esprit rabelaisien, l'accent du sud-ouest et autres futilités de l'existence.
